Le musée Wellington expose une lithogravure nommée Waterloo conveying the French Canon réalisée par Robert Bowyer inventoriée sous le numéro
96/702/a. Cette œuvre est très intéressante car elle permet par son action principale de tordre le coup à une légende qui voudrait que le lion de Waterloo fût fondu avec les canons français récupérés sur le champ de bataille. La plupart des canons français furent capturés sur le champ de bataille par l’armée britannique le soir de la bataille et ceux-ci furent convoyés à travers Waterloo vers la Grande-Bretagne ou ils sont désormais la propriété du Royal Artillery Museum.
L’une de ces pièces nommée « la suffisante » est néanmoins revenue à Waterloo depuis 1986 et orne désormais la cour du musée. Au-delà de cette scène principale les auteurs nous renseignent également sur un autre fait historique relevant de l’histoire socio-économique, celle du développement de l’usage du charbon de terre à Bruxelles.
En effet, le coin droit de la gravure offre une vue documentée sur une charrette et son « roulier » terme utilisé pour signifier « convoyeur ». Un témoin repris par Philippe de Callataÿ décrit en 1820 ses charrettes tractées par « six étalons de la plus forte race avaient de la peine à traîner ces charrettes à quatre roues dont le chargement dépasse souvent 120 à 180 quintaux ».
Le charbon dans l’ancien Brabant.
Durant l’antiquité l’épaisse forêt de Soignes fournit de quoi vivre aux habitants des villages qui se forment notamment à Auderghem et Hoeilaart. Dès le IVème siècle, l’exploitation de la forêt s’intensifie avec l’apparition de charbonnières qui permettent de produire du charbon de bois, l’œil attentif pourra encore en voir des traces lors d’une balade en forêt.
La fin du Moyen-âge voit l’apparition de l’exploitation du charbon de terre d’abord dans la Ruhr puis sur l’ensemble du vaste gisement s’étendant de la Pologne en Angleterre avant d’atteindre Liège puis le Hainaut au XVème siècle. Dès lors, la qualité du charbon de terre commence à conquérir les consommateurs bruxellois qui l’importent depuis le Hainaut, c’est ainsi que se développe l’actuelle N5 alors nommée Chaussée des Wallons qui devient un axe commercial très important.
Bruxelles se développe économiquement au point d’atteindre 80.000 habitants sous l’Empire dont 20.000 sont des ouvriers.
Un bâtiment lié au charbon
C’est en 1662 que commence les travaux de pavement de la chaussée des Wallons. Le gouverneur espagnol, le marquis de Castanaga, confie le chantier au Maître paveur Humbert Olivet. En 1705, celui-ci édifie sa demeure privée à proximité de son chantier à hauteur de l’orée de la forêt de Soignes face à la prestigieuse chapelle royale espagnole.
En 1782, les descendants d’Humbert Olivet vendent la maison à Josse Bodenghien exploitant déjà l’auberge de « la Joyce » à Petit-Waterloo. En 1787, Josse donne à son fils Antoine le bâtiment en location afin de l’exploiter comme une auberge avec son épouse Catherine née Wilmet. Cette dernière sera connue plus tard par les premiers touristes comme « la veuve Bodenghien ». C’est également Catherine qui sera décrite comme la « vieille flamande » par Walter Scott lors de sa visite.
S’il est de tradition de faire démarrer la partie « auberge » de notre histoire en 1782, notre ancien conservateur Philippe de Callataÿ décèle les indices de la présence d’une activité d’auberge dès 1769 par l’édification d’une petite brasserie. Les deux porches carrossables visibles sur une vue de 1733 permettent d’établir un sens de circulation ce qui indiquerait une circulation abondante sur le domaine. Au XVIIIème siècle, il n’y avait pas un mais deux porches carrossables qui ne se retrouvent pas sur l’œuvre de Bowyer. Cela tendrait à montrer que l’artiste ne s’est pas rendu sur place ou que ses croquis furent exécutés à la hâte ce qui ne l’empêche pas de rendre des vues documentaires sur notre passé. Si notre musée n’a plus que le porche de droite, c’est parce que celui de gauche a été détruit entre 1889 et 1895.
Quoiqu’il en soit, l’installation d’une auberge pour rafraîchir les convoyeurs et bêtes à l’orée de la forêt de Soignes devant un monument reconnaissable est un choix très pertinent. En effet, le trajet à travers la forêt n’offre pas de point de ravitaillement. La chaussée pavée qui permet d’éviter les risques d’embourbement et le développement économique de Bruxelles sont une assurance de continuité économique.
Des investissements afin de transformer une demeure privée en une auberge de grandes capacités sont alors fait par la famille Bodenghien. C’est ainsi qu’est élevée une grange de 30 mètres sur 13 qui impressionne tant Basil Jackson dans ses mémoires.
Ce chapitre de notre histoire se clôture avec l’ouverture du canal de Bruxelles-Charleroi en 1831 dont l’ironie du sort veux qu’il soit creusé sous la direction de Jean-Baptiste Vifquain, l’ingénieur qui imagina le lion de Waterloo ! Les baquets voguant sur le canal avec 70 tonnes de charbon remplacent alors les lourds attelages limités à 1 tonne de charbon. La force équine se trouve alors augmentée de 70 fois sa force !
En conclusion, l’histoire socio-économique longtemps considérée comme moins importante que l’histoire dite « bataille » est cependant observable à l’ombre des canons. C’est cette histoire que nous raconte involontairement Robert Bowyer en illustrant cette charrette chargée de charbon et ses convoyeurs.
Ainsi l’observation attentive de nos œuvres nous permet de proposer une nouvelle manière d’appréhender notre histoire par le biais socio-économique.
Quentin Debbaudt, Responsable des collections
Bibliographie
Jackson B (Lieutenant-colonel), De Waterloo à Sainte-Hélène, Paris, Jourdan, 2015.
Fleischman T, Aerts W, Bruxelles pendant la bataille de Waterloo, Bruxelles, La Renaissance du livre, 1956.
Vanmonfort B, Devos Y, Langohr R, « Caché sous les arbres… Le site néolithique de Watermael-Boitsfort » in Bruxelles Patrimoines – 104, 2015.
Scott W, Lettres de Paul à sa famille, écrites en 1815, Paris, Gosselin, 1824.