Un Plastron dans nos réserves

La collection du musée Wellington compte dans ses réserves un plastron (partie avant) d’une cuirasse de cuirassier postérieur aux guerres de la Révolution et de l’Empire. Il s’agit d’une pièce du modèle 1855 forgée à la Manufacture de Klingenthal en 1895 dont elle porte l’insculpation.

Ce plastron est en acier fondu, trempé à l’huile de Colza et recuit sur bain de sable. La forme cintrée à la taille à une base en forme évasée typique des modèles postérieurs au Premier Empire. Le dos de la pièce a été peint en noir probablement à une époque postérieure à son utilisation. Son acquisition par le musée Wellington n’est pas documentée[1].

Ce plastron est habituellement conservé en réserve sous le numéro d’inventaire 96/440/a et exposé temporairement dans le cadre de l’exposition « Cheval, une histoire humaine ».

Manufacture de Klingenthal, plastron de cuirassier modèle 1855, 1895, musée Wellington, 96/440/a – exposition « Cheval, une histoire humaine » au musée Wellington (15 novembre 2024 au 16 mars 2025).

2Qu’est-ce qu’un cuirassier ?

La cavalerie française était divisée en plusieurs type de cavalerie avec des spécialisations différentes. Les cuirassiers entraient avec les carabiniers dans ce qu’on nommait la « grosse cavalerie » alors que la « cavalerie de ligne » était composée par les dragons et lanciers tandis que la « cavalerie légère » regroupait les hussards et les chasseurs à cheval.

Les cuirassiers étaient un élément de choc conçu pour porter des coups sévères au front adversaire en vue d’entrainer sa dislocation. Pour ce faire, ils reçurent un casque et une cuirasse à l’épreuve des balles. La cuirasse couvrait la poitrine et le dos, ses deux parties étaient jointes par des épaulières en cuivre. Le casque en fer était surmonté d’un cimier en cuivre jaune orné d’une houpette et d’une crinière de crin noir. Enfin, la bombe était entourée d’un turban en fourrure noire et surmontée d’un plumet écarlate.

La création des cuirassiers remonte à 1665 dans la cavalerie française. Ce qui les distinguent des chevaliers que l’on trouve sur le champ de bataille jusqu’à la Renaissance est l’adoption de l’arme à feu qui modifie les tactiques de combat. L’évolution de la tactique entraine l’évolution du comportement et donc de la discipline qui passe de la prouesse individuelle du chevalier dans l’idée de faire des prisonniers [2] à l’idée d’abattre des ennemis. Au Moyen-âge, « La bataille […] est opération de justice. Entre chrétien, jamais elle ne prend la forme d’une entreprise d’extermination » [3] rappelle Georges Duby.

Wallhausen (de) J-J, Instruction des Principes et Fondements de la Cavallerie, 1621- exposition « Cheval, une histoire humaine » au musée Wellington (15 novembre 2024 au 16 mars 2025) – collection privée.

L’usage de l’arme à feu entraine l’adoption de tactique en rangs serrés et le fait de devoir utiliser le pas lors de combats. Comme le rappelle Frédéric Chauviré « les cuirassiers du début de la guerre de Trente Ans allaient au trot et que les cavaliers de Charles XII chargeaient au galop » [4] une moindre allure est également conseillée car les cuirassiers ne sont plus issus de l’aristocratie qui domine encore les armées de l’époque. Aussi ces derniers pensent que les cuirassiers seront moins bons pour mener une charge à une allure relevés car ils sont « gens basses et vils » [5]

Les cuirassiers de Waterloo à la Première guerre Mondiale

Les cuirassiers se distingueront au cours de deux actions lors de la journée du 18 juin 1815. Premièrement en repoussant la charge des Scott Greys qui menaçait le flanc droit français [6] puis en accompagnant les grandes charges de cavaleries du Maréchal Ney (1769-1815) [7]. Ces deux actions importantes de la bataille de Waterloo ont été étudiés précédemment dans la série Zoom sur la collection.

Les cuirassiers sont peu utiles dans les guerres qui suivent l’épopée napoléonienne. La France est principalement impliquée dans des guerres coloniales qui nécessite surtout une cavalerie légère et rapide ou de guerres qui ne voient pas la nécessité d’engager la cavalerie lourde comme en Crimée (1853-1856) ou en Italie (1859).

La chute du régime de Napoléon III en 1870 voit des modifications dans l’armée française. Durant la guerre Franco-Prussienne (1870-1871), les cuirassiers se sont montrés héroïques comme à Reichshoffen, le 6 août 1870. Durant cette guerre, la cavalerie légère se montre totalement en dessous de sa tâche. Négligeant les théories du général de Brack (1789-1850)[8], elle n’éclaire pas suffisamment l’armée impériale française qui se fait plusieurs fois surprendre par les Prussiens et leurs alliés. La conséquence en sera le sacrifice inutile de la cavalerie lourde pour tenter d’arrêter les Prussiens.

Edouard Detaille, La charge du 9ème régiment de cuirassiers dans le village de Morsbronn, Château de Wœrth, 1874.

En 1871, la cavalerie française compte 56 régiments dont 12 de cuirassiers en métropole et 7 en Afrique du Nord. Les effectifs seront néanmoins augmentés jusqu’en 1914 afin de garder une certaine parité avec l’armée allemande.

La cavalerie lors de la Première Guerre mondiale

La Belle Époque[9] du cinéma muet et des omnibus chantée par Jacques Brel (1929-1978) dans Bruxelles est une période où la foi dans le modernisme guide l’humanité à l’image du mouvement futuriste[10] de Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944).

 

Umberto Boccioni, la charge des lanciers, Museo del Novcento, 1915

De nombreuses inventions modifient profondément la manière de vivre de millions d’individus comme l’apparition de l’ampoule électrique, du téléphone, des premières automobiles. Militairement, la science apporte de nombreuses inventions qui vont révolutionner l’art de la guerre comme la mitrailleuse développée en Belgique sous le nom de mitrailleuse Montigny.

La cavalerie fait encore rêver les artistes même ceux qui souhaitent en finir avec le monde d’avant à l’image Umberto Boccioni (1882-1916) qui peint sa charge des lanciers afin d’exalter l’idée militaire en Italie [11].

En dehors du champ artistique, comment ne pas s’étonner d’un certain archaïsme principalement manifesté dans l’armée française. La France fait porter des pantalons garance à ses soldats et continue d’entretenir une nombreuse cavalerie montée dont des cuirassiers.

Parmi ses incohérences, il faut distinguer la cavalerie qui reste une arme d’élite. En 1914, l’Allemagne n’aligne pas moins de 110 régiments de cavalerie ce qui représente approximativement 68.000 cavaliers alors que la France lui oppose 81 régiments stationnés en métropole (13 régiments étaient stationnés en Afrique du Nord) ce qui représente approximativement 63.000 sabres, le régiment français étant plus “fourni” que le régiment allemand. A titre de comparaison, la Belgique met en ligne 10 régiments dont l’uniforme était le plus napoléonien de tous les belligérants[12].

Sous-officier de la cavalerie allemande en 1914

La cavalerie comme lors des guerres de la Révolution et de l’Empire, demandait un investissement considérable car il fallait 3 ans pour former un cavalier capable de monter au front[13]. Le cheval devait aussi être dressé, ce qui durait 2 ans.

La plupart des stratèges d’avant 1914 ne se trompent pas quand ils estiment que la France et l’Allemagne finiront par entrer en guerre et qu’un pays neutre comme la Belgique pourrait être envahi.

Les futurs belligérants estiment alors que la cavalerie sera très utile pour éclairer le terrain en Belgique et se livrer à des combats. Certains officiers ne sont pas dupes du rôle que jouera la cavalerie comme l’écrit le Général de Gallifet (1831-1909) en 1881 : “Dans la guerre moderne surtout, le combat de cavalerie est un incident, tandis que l’exploration et la sécurité sont des nécessités de tous les instants. Bien qu’une division de cavalerie doive toujours former une masse d’action capable d’attaquer l’adversaire, elle trouvera très rarement l’occasion d’un choc[14]

Les cuirassiers qui formaient 13 régiments dans l’armée française de 1914 étaient équipés du casque modèle 1872 modifié 1874, d’une cuirasse pesant 8 kilos du modèle 1855, de la latte modèle 1854 modifié 1880 et de la carabine de 8mm modèle 1890. Seuls les hommes les plus grands pour l’époque pouvaient prétendre à devenir cuirassier car il fallait mesurer au minimum 170 cm.

L’évolution de la guerre qui à partir de l’automne 1914 devient une guerre des tranchées fut fatale à la cavalerie. Les cavaliers furent démontés et employés comme fantassins sur le front de l’Ouest où ils se distinguèrent comme “schützen-divisionen” et “Division de cavalerie à pied”.

A l’est, les Allemands peuvent employer de la cavalerie car la guerre reste mouvante. Les Français continuèrent aussi d’utiliser des cavaliers montés sur les fronts périphériques que constituaient les Balkans et le Proche-Orient.

La cavalerie montée regagne un intérêt en 1918 lors de la percée du front Allemand puis s’efface progressivement au bénéfice de la mécanisation. Ce n’est peut-être pas un hasard si les grands théoriciens de l’arme blindée de l’entre-deux-guerres, Charles de Gaulle (1890-1970) dans Vers l’armée de métier (1934) et Heinz Guderian (1888-1954) dans Achtung – Panzer ! (1937) proviennent de l’infanterie et non de la cavalerie, signe d’une époque qui change. Néanmoins le cheval reste un élément vital au ravitaillement et au transport dans la plupart des armées durant la Seconde Guerre mondiale.

Quentin Debbaudt, Conservateur du musée Wellington

[1] Le plastron semble avoir été acheté à une date inconnue selon la fiche Filemake.Le plastron semble avoir été acheté à une date inconnue selon la fiche Filemaker.

[2] Le prisonnier sera ensuite échange contre une rançon.

[3] Duby G, Le dimanche de Bouvines : 27 juillet 1214, Paris, Gallimard, 1973, p.200.

[4] Chauviré F, «Le problème de l’allure dans les charges de cavalerie du XVIe au XVIIIe siècle » in Revue historique des armées, 249 | 2007, consulté le 15 février 2025 (disponible sur :http://journals.openedition.org/rha/553)

[5] Wallhausen (J.-J de), Art militaire à cheval, instruction des principes et fondements de la cavalerie …, Francfort, 1616, p. 10.

[6] Sur le sujet : Debbaudt Q, « Scotland Forever ! » in Zoom sur la collection, Waterloo, musée Wellington, 2024, consulté le 15 février 2025 (disponible sur https://www.museewellington.be/scotland-forever/).

[7] Sur le sujet : Debbaudt Q, « Les cuirassiers de James Thiriar » in Zoom sur la collection, Waterloo, musée Wellington, 2024, consulté le 15 février 2025 (disponible sur https://www.museewellington.be/les-cuirassiers-de-james-thiriar/).

[8] Brack (de) (Général), Avant-postes de cavalerie légère, Paris, Anselin, 1831.

[9] La Belle Epoque est une période s’étendant de la fin du XIXème siècle à 1914.
 

[10] Le mouvement futuriste est un mouvement littéraire et artistique européen principalement italien du XXe siècle qui rejette la tradition esthétique et exalte le monde moderne à travers la civilisation urbaine, les machines et la vitesse.

[11] Le royaume d’Italie d’abord allié aux puissances centrales reste neutre qui reste neutre jusqu’au 23 mai 1915, date de son entrée en guerre du côté des alliés de la Triple-Entente (France, Grande-Bretagne et Russie).

[12] Lierneux P, “Vers le havresac modèle 1853 de l’armée belge ou l’uniformisation de l’équipement selon la mode française” in Militaria Belgica, 1991.

[13] Selon la Loi du 7 août 1913 modifiant les lois des cadres de l’infanterie, de la cavalerie, de l’artillerie et du génie, en ce qui concerne l’effectif des unités et fixant les conditions du recrutement de l’armée active et la durée du service dans l’armée active et ses réserves, promulguée au Journal officiel du 8 août 1913

[14] Galiffet (de) (Général), « La cavalerie dans la guerre moderne » in Revue des deux mondes, Paris, 95 | 1889, P.331.

Bibliographie

  • Brack (de) (Général), Avant-postes de cavalerie légère, Paris, Anselin, 1831.
  • Duby G, Le dimanche de Bouvines : 27 juillet 1214, Paris, Gallimard, 1973.
  • Funcken, L et F, L’uniforme et les armes des soldats de la guerre 1914-1918, tome 2 : Cavalerie – Artillerie – Génie – Marine, Tournai, Casterman, 1971.
  • Galiffet (de) (Général), « La cavalerie dans la guerre moderne » in Revue des deux mondes, Paris, 95 | 1889
  • Lierneux P, “Vers le havresac modèle 1853 de l’armée belge ou l’uniformisation de l’équipement selon la mode française” in Militaria Belgica, 1991.
  • Wallhausen (J.-J de), Art militaire à cheval, instruction des principes et fondements de la cavalerie …, Francfort, 1616.

Sources web

  • “La cavalerie” disponible sur https://www.be14-18.be/fr/defense/la-cavalerie (consulté le 10 février 2025).
  • Chauviré F, «Le problème de l’allure dans les charges de cavalerie du XVIe au XVIIIe siècle » in Revue historique des armées, 249 | 2007, consulté le 15 février 2025 (disponible sur :http://journals.openedition.org/rha/553).
  • Debbaudt Q, « Scotland Forever ! » in Zoom sur la collection, Waterloo, musée Wellington, 2024, consulté le 15 février 2025 (disponible sur https://www.museewellington.be/scotland-forever/).
  • Debbaudt Q, « Les cuirassiers de James Thiriar » in Zoom sur la collection, Waterloo, musée Wellington, 2024, consulté le 15 février 2025 (disponible sur https://www.museewellington.be/les-cuirassiers-de-james-thiriar/).