Le musée Wellington expose dans son exposition permanente, une copie du célèbre tableau peint par Lady Butler1 (1846-1932) en 1881 nommé « Scotland Forever ! ». Il représente la charge des Scots Grey, évènement majeur de la bataille de Waterloo du 18 juin 1815. Ce tableau est aujourd’hui à la Leeds Art Gallery.
Notre copie fut peinte par un certain Durcisseau sur lequel nous ne possédons pas d’informations. Elle fut acquise à un collectionneur privé en 2013 sur le conseil d’un autre collectionneur à l’époque « conseiller » en termes d’objet de collection2. C’est une huile sur toile qui porte le numéro d’inventaire 18/004/a et mesure 78cm sur 157cm. Elle est présentée dans la salle de la bataille de Waterloo en vis-à-vis de la représentation d’une division de cuirassiers français par James Thiriar (1889-1965) sur laquelle nous reviendrons.
Les Scots Grey
Les Scots Grey forment une unité de cavalerie écossaise créé en 1678 pour faire face aux menées des Covenantaires presbytériens3. À l’origine, ils étaient composés du régiment d’infanterie du comte de Mar et de trois compagnies de dragons armés chacun d’un fusil et d’un sabre. Trois autres compagnies de dragons sont formées en 1681 pour former The Royal Regiment of Scots Dragoons.
En 1707, l’acte d’Union qui voit l’Ecosse entrer dans le giron britannique place ce régiment dans l’armée britannique et son nom devient The Royal North British Dragoons puis sa numérotation en 1713 le défini en comme 2nd Regiment of Dragoons. Néanmoins, ils sont appelés couramment les Scots Greys du fait de leur habitude de monter des chevaux à la robe grise. C’est ce terme de Scots Greys que nous utiliserons dans la suite de cet article.
Les Scots Greys participent aux batailles menées par les Britanniques lors de la Guerre de la ligue d’Augsbourg4 (1688-1697), la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714) pendant laquelle ils combattent dans les Anciens Pays-Bas5, la guerre de succession d’Autriche (1740-1748) puis la guerre de Sept Ans (1756-1763).
Ils ne participent quasiment pas aux guerres de la Révolution et de l’Empire mis à part la calamiteuse campagne de Flandres entre 1793 et 1794 qui aboutit à la conquête des Anciens Pays-Bas par la France. Arthur Wellesley, futur duc de Wellington y participe également.
Le régiment lors de la campagne de 1815
Lorsque la nouvelle du retour de Napoléon parvint en Grande-Bretagne, l’effectif des Scots Greys est porté à 946 officiers et hommes. Les Scots Grey, à leur arrivée à Gand, furent regroupés sous le commandement du major-général Ponsonby dans la brigade dite postérieurement de l’Union, avec les Royal Dragoons et les Inniskillings Dragoons.
La brigade de l’Union arrive trop tard pour jouer un rôle lors de la bataille des Quatre Bras du 16 juin 1815 malgré une longue journée à progresser vers le champ de bataille. Commence alors la retraite vers Waterloo.
Le Dr Jacques-Henri Pirenne décrit dans sa Stratégie de Wellington le rôle d’appât qu’aurait joué la cavalerie britannique pour attirer l’armée française vers Waterloo : « Wellington chargea sa cavalerie d’attendre l’armée impériale aux Quatre Bras ; de se faire voir par elle et de battre en retraite vers Bruxelles en évitant tout accrochage sérieux. En exécutant ces instructions, la cavalerie de Wellington entraîna l’armée de Napoléon vers Genappe et Bruxelles, sur la route ou il allait l’attendre à Mont-Saint-Jean »6. Si cette proposition de l’un des pères fondateurs du musée Wellington est séduisante, il ne faudrait néanmoins pas oublier que l’un des rôles traditionnels de la cavalerie est de couvrir une armée en retraite. De plus, les accrochages sérieux n’auraient pas vraiment pu avoir lieu car la cavalerie légère de Napoléon était essentiellement lancée à la poursuite des Prussiens vers Wavre.
La charge
Le 18 juin 1815, c’est une brigade intacte qui va affronter les forces de Napoléon et participer pleinement à la vision tactique de Wellington.
Tactique simple et efficace que Pirenne résume en quelques lignes « Sa tactique, mise au point dans ses campagnes du Portugal et d’Espagne, allait consister à briser sur ses lignes, établies en haut de côtes, toutes les attaques de l’adversaire, en mettant en jeu, à mesure des besoins, les réserves cachées en contre-pente »7. C’est donc dans le cadre d’une contre-mesure visant à repousser les Français en attendant l’arrivée des Prussiens que doit se comprendre la charge des Scots Grey.
Vers 13h30, Napoléon fait envoyer par le Maréchal Ney le corps de Drouet d’Erlon à l’attaque du centre allié. La brigade Bylandt disposée de façon visible en avant de la crête a été sévèrement étrillé par la préparation d’artillerie puis l’attaque de l’infanterie, les Belges qui la compose reculent. Ce recul, inévitable à terrain découvert devant une force bien plus importante, à pour effet de mettre en danger le centre de la ligne de Wellington et le 92nd Highlander.
Wellington envoie alors ce qu’il a directement en ligne, c’est-à-dire, les Scots Grey, qui ne sont pas soutenu par une autre formation de cavalerie. Les Scots Grey s’avancent et rencontrent des hommes du 92nd Highlanders qui selon le souvenir du Sous-lieutenant Crawford « firent demi-tour et nous accompagnèrent dans la charge »8. Ils tombent sur la première formation française qui est prise au dépourvue comme le raconte le Major Robert Winchester du 92nd Highlanders « C’est à ce moment que les Scott Greys approchèrent. Ils nous dépassèrent en traversant nos flancs et notre centre ou nous avions ménagé des ouvertures. Tous les régiments chargèrent en même temps, criant « Scotland for ever ». Les Scot Greys se dirigèrent vers cette colonne qui fut totalement détruite en moins de trois minutes. Outre les morts et les blessés, ils firent 2000 prisonniers et s’emparèrent de deux aigles »9. Il s’agit des aigles des 105ème et 45ème régiment.
Les Scots Grey arrivent alors en contact avec une autre formation que le Lieutenant-colonel Wydham qui a participé à la charge décrit comme « disposée correctement en colonne ou en carré. Le feu qui les atteignit [les Scots Grey] fut très dévastateur » cependant « La colonne fut pratiquement anéantie et les survivants furent faits prisonniers »10.
Devant un tel succès, les cavaliers Britanniques sont emportés par leur élan malgré les ordres de leurs officiers. Le Major de Lacy Evans, aide-de-camp du général Ponsonby relate : « L’ennemi s’enfuyait comme un troupeau de moutons dans la vallée – tranquillement à la merci de nos dragons. Mais en fait, nos hommes n’étaient plus tenus. Le général de la Brigade, son état-major et chaque officier à portée de voix s’exhortaient entre eux à reformer impérativement les rangs ; mais un ennemi si désemparé constituait une trop forte tentation pour les dragons, aussi nos efforts furent-ils sans effet »11
La charge des Scots Grey fut neutralisée par l’apparition combinée des cuirassiers du Général Farine qui les attaquent de front mais surtout par les lanciers français du Colonel Bro qui prennent à revers les intrépides écossais aventurés trop loin de la ligne alliée. Les cavaliers français reprennent un aigle et délivrent un bon nombre de soldats prisonniers qui se reforment avec une certaine cohésion.
Les pertes causées par les lances, arme terrible contre la cavalerie, sont importantes comme en témoigne le Lieutenant-colonel Wyndham « Ces lanciers causèrent beaucoup de ravages. Quelques semaines plus tard, je vis à Bruxelles beaucoup d’hommes blessés par dix ou douze coups de lance. Un homme, Lock, fut transpercé 17 ou 18 fois, survécut et put raconter son histoire. »12
Les Scots Greys n’aligneront plus que 150 cavaliers après cette charge aussi réussie que désastreuse. Néanmoins, une part significative de l’infanterie de Napoléon est neutralisée par la perte de 4.000 hommes blessés, prisonniers ou morts. L’objectif de Wellington est atteint, sa ligne n’a pas cédé et continue à résister en attendant l’arrivée décisive des Prussiens.
Durant cette charge, le major-général William Ponsonby trouve la mort. Traditionnellement, la mort de cet officier est imputée aux lanciers, c’est ce qu’affirme Lacy Evans « Quelques-uns tentèrent de s’échapper en tournant les lanciers français par la gauche, Sir William Ponsonby était du nombre. Tous ceux-là tombèrent entre les mains de l’ennemi »13. Son témoignage est renforcé par celui du Colonel Bro du 4ème régiment des lanciers : « Le maréchal des logis Orban tue d’un coup de lance le général Ponsonby »14
Le témoignage du Sergent William Clarke apporte un éclairage inédit sur la mort du major-général William Ponsonby. « Ponsonby’s death surronded by seven lancers has been proven to be false, but there is still some doubt over his death »15 poursuivant plus loin que c’est en entrainant ses hommes qu’il reçut une balle tirée depuis un fusil d’infanterie. Ce témoignage contredit la thèse répandue de la mort de Ponsonby dans un combat face à la cavalerie française. Le mystère reste entier.
209 ans après la bataille, Scotland Forever reste l’une des illustrations les plus utilisées pour qui s’intéresse de près ou de loin à la bataille de Waterloo. Une grande partie des nombreux ouvrages étudiant la bataille l’ont adopté en guide de couverture, d’innombrables cartes postales ou magnets à son effigie se vendent dans les boutiques des musées et la bière « Waterloo » l’a intégrée sur son étiquette ce qui favorise sa circulation bien au-delà du champ de bataille.
Plus qu’une charge de cavalerie, l’image peinte par Lady Butler en 1881 est devenue le symbole de la vaillance et du courage des hommes qui s’affrontèrent ce 18 juin 1815 dans la plaine de Waterloo.
Quentin Debbaudt, Conservateur du Musée Wellington
Bibliographie
Clarke W (Sergeant), Glover G (publié par), A Scots Grey at Waterloo: The Remarkable Story of Sergeant William Clarke, Barnsley, Pen and sword , 2017.
Coppens B, Courcelle P, Le chemin d’Ohain – les Carnets de la campagne – 2, Bruxelles, Editions de la Belle-Alliance, 1999.
Pirenne J-H (Docteur), « La Stratégie de Wellington », Waterloo, Cahiers des Amis du Musée Wellington,1, 1979.
Siborne H.T, Waterloo, les lettres anglaises, les Britanniques racontent Waterloo, Bruxelles, Jourdan, 2009.
Skrine F-H, Fontenoy And Great Britain’s Share in the War of Austrian Succession 1741-1748, London, Legare Street Press, 2022.