A l’occasion de l’exposition « The road to Dunkirk » organisée en partenariat avec la Red Coat Society avec l’aide de différents collectionneurs dont le musée « Dunkerque 1940, opération Dynamo », nous mettons en lumière 3 vestiges des derniers jours de l’occupation allemande de la Seconde Guerre Mondiale. Il s’agit de 3 panneaux routiers utilisés par l’armée allemande et inscrit à l’inventaire de nos collections sous les matricules 19/045/a, 19/046/a et 19/047/a.
Description
Les 3 objets présentent des états de conservation très différents du fait de leur entreposage assez long dans les caves du musée avant leur redécouverte en 2018.
Ils sont conformes aux usages de la Wehrmacht sur le front de l’Ouest. Ils se présentent comme étant en forme de flèche, la pointe désignant la direction du lieu indiqué sur le panneau. Le bord du panneau et le nom du lieu mentionné sont en noir pour ressortir sur le fond jaune. L’aspect de ses panneaux dérive totalement de ce qui se fait en Allemagne dans le domaine de la signalisation routière civile prévue dans la loi sur la circulation routière (StVO) du 13 novembre 1937. Ces panneaux sont quasi identiques aux panneaux utilisés pour les déviations et les routes non-pavées.
Les panneaux en bois font 128.5 cm de largeur pour 31 cm de hauteur.
Contexte
Fin août 1944 avec la fin de la bataille de la poche de Falaise en Normandie, l’armée allemande entame une retraite vers le Reich pour se retrancher derrière la ligne Siegfried d’une part et les canaux hollandais et belges d’autre part.
Les unités décimées en Normandie doivent donc parcourir des centaines de kilomètres sous le feu des chasseurs-bombardiers alliés et les attaques de la Résistance dans des véhicules bondés à court de carburant, de vivres et de munitions. Les lignes ferroviaires sont devenues impraticables, ce qui oblige la Wehrmacht à utiliser le réseau routier.
Cette situation catastrophique, l’armée allemande l’a déjà vécue plusieurs fois sur le front de l’Est et a appris à organiser des retraites plus ou moins cohérentes grâce à la Feldgendarmerie qui coordonne les mouvements et place de nombreux panneaux.
Les trois panneaux conservés au musée Wellington indiquent les directions de Bruxelles, Aix-la-Chapelle et Louvain qui étaient les axes de direction de la retraite allemande, comme le décrit Eddy De Bruyne.
La libération de Waterloo
Le 4 septembre 1944, les hommes du mouvement de résistance de l’Armée Secrète investissent Waterloo qu’ils libèrent officiellement. Les waterlootois attendent alors avec impatience les soldats alliés du Maréchal Montgomery. Seulement, c’est une colonne allemande qui s’avance depuis Mont-Saint-Pont vers Waterloo.
Une voiture réquisitionnée fonce alors vers Bruxelles pour demander de l’aide aux Britanniques qui dépêchent 3 blindés, l’affrontement inévitable a lieu au carrefour de Mont-Saint-Pont. Contre toute attente, le premier blindé britannique est mis hors de combat, l’équipage ne survit pas à ses blessures. Les deux chars survivants battent en retraite vers Bruxelles. La route de Waterloo est donc grande ouverte… La route logique de cette formation devrait être Louvain-Liège par la N253 en direction de La Hulpe et non la N5 vers Bruxelles. Néanmoins, les chars obliquent vers le centre de Waterloo, trompé par des panneaux inversés selon certains auteurs ? Pour tenter de trouver de l’essence dans Waterloo ? La colonne allemande arrive sur la Place Albert Ier en face de l’actuel musée Wellington tandis qu’un char tombé en panne d’essence se saborde à Petit-Paris.
Arrivé à la drève des Lilas, un blindé allemand tombe sur des résistants arrêtant un couple de collaborateur qui interpellent alors les tankistes allemands. Ceux-ci ouvrent le feu sur les 8 gendarmes et résistants qui sont tués. Pour une raison inconnue, certainement informés par les collaborateurs libérés, les Allemands opèrent un demi-tour et reprennent leur route vers le Reich.
Waterloo, pleure ses morts, il n’y aura pas de fête de la libération dans la cité du lion.
L’identité
des tankistes, une question non-résolue ?
La photo du char allemand tombé en panne d’essence au Petit-Paris recoupée avec celle d’un autre char tombé lui-aussi en panne à La Hulpe le long de la voie de retraite de la même unité. Ouvre quelques perspectives.
Les blindés
tombés en panne à Waterloo et La Hulpe sont des Jagdpanzer IV équipé
d’un canon de 75 mm. Sans le soutien d’artillerie ou d’avions, les trois chars
britanniques rencontrés à Mont-Saint-Pont n’avaient aucunes chances contre ces
blindés spécialisés dans la destruction de chars.
Ces blindés furent produits en nombre
limité et équipaient seulement le bataillon antichar, le
Panzerjäger-Abteilung, dans les divisions
blindées. En recoupant les images waterlootoises et hulpoises, nous pouvons émettre
l’hypothèse d’un fragment d’une panzerdivision se frayant avec des
éléments épars un passage vers le Reich.
Début septembre 1944, deux divisions
recensées dans l’actuel Brabant-Wallon répondent au critère de la possession
d’un Panzerjäger-Abteilung.
Il s’agit de la 116 ème panzerdivision et de la 9ème panzerdivision
de la Waffen SS « Hohenstauffen ». Pour la 116ème, c’est
la Panzer-Jäger-Abteilung 226 et pour la 9ème
SS du SS-Panzerjäger-Abteilung 9.
Les photos ne nous permettent malheureusement pas de relever des identifications sur la peinture du blindage. Néanmoins, nous savons que le SS-Panzerjäger-Abteilung 9 fut équipée de 12 Jagdpanzer IV et le Panzer-Jäger-Abteilung 226 de 5 Jagdpanzer IV. Cette dernière division n’étant sortie de la poche de Falaise en août 1944 qu’avec 12 blindés, il parait peu probable de voir les blindés rescapés uniquement composés de Jagdpanzer dont 2 furent détruits à Waterloo et 2 à La Hulpe.
C’est pourquoi, l’identification de la colonne allemande comme appartenant à la 9ème SS « Hohenstauffen » nous semble plus probante. Néanmoins, d’autres soldats d’autres unités ont pu se joindre à la colonne et il est donc impossible d’établir l’identité des tireurs.
Conclusion
Nos panneaux allemands sont donc au cœur d’une énigme historique locale, celle de l’identité des Allemands ayant abattu les résistants et de la raison de l’incursion de la colonne dans Waterloo centre qui n’était pas sur sa ligne de retraite logique.
La raison de l’incursion nous semble plus liée à une question d’essence que de panneaux inversés rappelant le scénario du film « le jour de gloire ». Dans ce cas, pourquoi ne pas avoir envoyé un véhicule de reconnaissance plutôt qu’un char ? La présence de blindés britanniques et de résistants armés pourrait avoir incité à la prudence le chef du groupe allemand. L’hypothèse de l’essence est encore confirmée par les nombreux sabordages de précieux chars sur 10 kilomètres prouvant que ces blindés du même type ont dû être ravitaillés ensemble une dernière fois avant d’arriver à la limite de leur autonomie.
L’identification de l’unité reste également un mystère dont l’hypothèse SS est la plus probable sans pouvoir néanmoins le prouver faute d’éléments décisifs.
Une recherche plus approfondie n’entrant pas dans l’ambition des « zoom sur la collection » serait certainement nécessaire pour lever le voile de l’énigme des tragiques évènements de la libération de Waterloo.
Bibliographie
Batailles et Blindés, 88, décembre 2018.
La Hulpe, moissons d’Histoire, La Hulpe, Cercle d’histoire de La Hulpe, 2001
Reichsgesetzblatt , partie 1, année 1937, n° 56, Berlin, 16 novembre 1937.
Blond G, L’agonie de l’Allemagne, 1944-1945, Paris, …., 1960.
De Bruyne E, Moi Führer des wallons ! Léon Degrelle et la collaboration outre-Rhin, septembre 1944 – mai 1945, Liège, Editions Luc Pire, 2012.
Heylen B, La libération de Perwez disponible sur le site www.museedusouvenir.be (consulté le 26 août 2021).
Vander Cruysen Y, Waterloo, 70.000 ans d’Histoires, Paris, Editions Jourdan, 2017.
Sites internet
https://www.leslufteaux.com/bienvenue-dans-la-section-lutwaffe/les-panneaux-indicateurs-allemands/ (consulté le 13 août 2021)
http://did.panzer.pagesperso-orange.fr/pzIV_70a.htm (consulté le 27 août 2021).