La salle de la bataille de Waterloo présente une œuvre remarquable de l’artiste James Thiriar (1889-1965) laissée sans nom. Cette œuvre est inventoriée sous le numéro 96/245/a. Elle fut achetée à un habitant de Waterloo en 1990 et nous n’avons pas plus d’informations sur sa provenance[1].
Il s’agit d’une aquarelle sur papier réhaussée au crayon mesurant 55 x 200 cm encadrée et divisée en 3 images de 43 x 60 cm. En 2002, l’œuvre a servi pour illustrer un numéro de l’étude très complète de la bataille de Waterloo par les Carnets de campagne[2].
L’artiste
James Thiriar est né d’un père officier de l’armée belge et d’une mère écossaise d’où lui vient son prénom anglophone. Il commence sa carrière en préparant pour l’éditeur de Boeck un album commémoratif pour le centenaire de la bataille de Waterloo.
Pendant la Première Guerre mondiale, Thiriar sert sur le front de l’Yser principalement comme observateur d’artillerie et dessinateur topographique.
En 1919, il entre au théâtre royal de la Monnaie comme dessinateur de costumes, sa grande expérience dans le domaine va le conduire à être nommé directeur artistique de l’Ommegang[3] qui renait en 1930 sous l’impulsion d’Albert Marinus (1886-1979).
Il prend ensuite part à une mission belge d’exploration des montagnes du Ruwenzori au Congo belge. Par après, il se passionne pour l’art congolais et devient l’un des membres fondateurs de la « Société des amis des arts et métiers congolais ».
Pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’engage dans l’Armée secrète[4] en 1941 puis prend part aux combats de la libération dans l’actuel Brabant-Wallon. Dans l’immédiat après-guerre, Thiriar a une œuvre prolifique et travaille avec de nombreux musées dont le musée royal d’histoire militaire, le musée de Tervueren et vend également ses œuvres aux États-Unis[5].
Il a laissé une abondante illustration encore utilisée de nos jours bien que la science ait évoluée par des réalisations plus récentes à l’image du travail de l’artiste-historien waterlootois Patrice Courcelles (né en 1950). Son œuvre est encore bien vivante à travers L’Ommegang et dans les scénographies de nombreuses institutions dont le musée Wellington.
La cavalerie française était divisée en plusieurs type de cavalerie avec des spécialisations différentes. Les cuirassiers entraient avec les carabiniers dans ce qu’on nommait la « grosse cavalerie », la « cavalerie de ligne » était composée par les dragons et lanciers tandis que la « cavalerie légère » regroupait les hussards et les chasseurs à cheval.
Les cuirassiers étaient un élément de choc conçu pour porter des coups sévères au front adversaire en vue d’entrainer sa dislocation. Pour ce faire, ils reçurent un casque et une cuirasse à l’épreuve des balles. La cuirasse couvrait la poitrine et le dos, ses deux parties étaient jointes par des épaulières en cuivre. Le casque en fer était surmonté d’un cimier en cuivre jaune orné d’une houpette et d’une crinière de crin noir. Enfin, la bombe était entourée d’un turban en fourrure noire et surmontée d’un plumet écarlate.
Le cuirassier était armé d’un sabre droit appelé une latte. Celle-ci leur offre un avantage dans les combats de cavalerie contre la cavalerie légère comme s’en souvient le Major Waymouth du 2nd Life Guards : « Il faut tenir compte du désavantage dû à nos sabres qui étaient bien de six pouces plus courts que ceux des cuirassiers » rajoutant « les Français tiennent le leur de manière beaucoup moins fatigante et bien plus efficace tant pour l’attaque que pour la défense »[6]. En outre, le cuirassier était armé de deux pistolets et d’un mousqueton.
Le cuirassier arborait l’habit-veste bleu de roi avec retroussis de la couleur du régiment et des épaulettes à franges écarlates.
La charge de cavalerie pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire
Afin d’appréhender au mieux l’œuvre, il faut comprendre ce qu’est une charge de cavalerie lors des guerres de la Révolution et de l’Empire. De nombreux films montrent des charges fantaisistes avec des escadrons de cavalerie chargeant au galop et sabre au clair sur des centaines de mètres avant d’arriver au contact de l’ennemi. C’est malheureusement le cas du « Waterloo » de Sergueï Bondartchouk (1970). L’amateur de cinéma historiquement crédible devra se tourner vers la charge des hussards russes lors de la bataille d’Austerlitz de la série « Guerre et Paix » (2016) de Tom Harper pour visionner une charge plus proche de la réalité.
Une charge de cavalerie était moins élancée et beaucoup plus préparée, d’ailleurs l’effet de corps primait sur l’action individuelle. L’historien pour saisir la réalité d’une charge de cavalerie pourra se référer à l’ouvrage Avant-postes de cavalerie légère du général de Brack véritable manuel d’instruction de l’utilisation de la cavalerie. Un autre document, plus théorique, L’Ordonnance provisoire sur l’exercice et les manœuvres de cavalerie précise « La charge étant à la guerre le mouvement décisif et par conséquent le plus important »[7]
James Thiriar représente une division de cuirassier qui se déploie en ligne, formation d’attaque la plus courante car elle permet de renouveler le choc assené à l’adversaire par plusieurs vagues successives. C’est le moment avant de s’élancer qui est représenté. Celui ou les éclaireurs reviennent informer les officiers de l’état du terrain et du dispositif ennemi. Ensuite, on vérifie le harnachement et puis c’est le moment du départ.
La distance à parcourir est celle de l’entrainement, c’est-à-dire 360 pas (274 mètres) divisé en 50 pas au pas puis 150 pas au trot puis 80 pas au galop avant de sonner la charge. Il reste 80 pas avant le contact et ce ne sera qu’à ce moment que les cavaliers vont brandir leur sabre afin d’avoir un effet psychologique maximum. Cet élément psychologique est pleinement acquis par la doctrine française que l’Ordonnance résume : « attaques menaçantes et successives inquiètent le soldat, et le conduiront même souvent à se dégarnir trop précipitamment de son feu »[8].
Malgré l’effet psychologique important, les charges ne réussiront pas à briser la défense de Wellington lors de la bataille de Waterloo.
Les cuirassiers à Waterloo
La discipline de la cavalerie française jouit d’une excellente réputation ce que Wellington confirme « Je considérais qu’un escadron était égal à deux Français, je n’aimais pas voir quatre Britanniques opposés à quatre Français : et à mesure que le nombre augmentait et que l’ordre, bien sûr, devenait plus nécessaire, je n’étais pas disposé à risquer nos hommes sans avoir une supériorité en nombre »[9]
C’est sur ce sentiment que le Duc observe la mise en place du dispositif de la cavalerie française essentiellement composée d’unités lourdes, les unités légères ayant été affectée aux troupes de Grouchy car plus utile dans la poursuite de l’armée prussienne.
Il est 16h et la bataille reste une impasse pour les Français dont l’infanterie est occupée dans de vains assauts contre Hougoumont (Reille), envoyée au-devant des Prussiens signalés à l’est (Lobau) ou en pleine réorganisation après la sanglante charge des Scots Greys[5] (Drouet d’Erlon). Dès lors, il ne reste plus que l’abondante cavalerie française pour obliger Wellington à quitter sa position. Ney convoque pour cette attaque les 4 brigades de cuirassiers de Milhaud qui entraine à sa suite la cavalerie légère de la garde impériale, en tout 5000 sabres. L’axe d’attaque est celui qui présente un chemin dégagé d’obstacle mais qui a le désavantage d’être gardé par des troupes alliées qui n’ont pas encore été usées par la bataille. La cavalerie est alors repoussée par l’infanterie alliée formée en carré. Napoléon lance alors 5000 sabres de plus pour soutenir le mouvement de Ney, ce sont les cuirassiers, dragons et carabiniers de Kellermann et la division de grosse cavalerie de la garde du général Guyot.
Ce mouvement prématuré et sans soutien d’infanterie tourne à la catastrophe comme en témoigne le général Kellermann : « Tout arriva pêle-mêle, en désordre et hors d’haleine, sur le rideau qu’occupait la ligne d’artillerie anglaise (…) elle (la cavalerie) se trouva dans la position la plus cruelle, sans infanterie, sans artillerie, pour l’appuyer »[10]. Le maréchal Ney mène 7 grandes charges systématiquement mitraillées par les artilleurs alliés comme l’évoque Cavalié Mercer alors officier de l’artillerie britannique : « Je vis au travers de la fumée les escadrons de tête d’une colonne qui s’avançait au trot rapide et se trouvait déjà à une centaine de yards au plus. J’ordonnai immédiatement de charger à mitraille, les avant trains furent enlevés et le feu commença à mon commandement. La toute première salve jette à terre un certain nombre d’homme et de chevaux mais ils continuaient à avancer à allure réduite, presqu’au pas et il apparut qu’ils allaient nous submerger » néanmoins les cavaliers font volte-face et Mercer continue « ce ne fut plus qu’une cohue sur laquelle nos six pièces ne cessaient de tirer à mitraille »[11]
Cependant, les charges obligent les artilleurs à se réfugier dans les carrés après avoir déversé leur contenu de mort. Seule la ténacité et la résolution des soldats à tenir permet de maintenir les carrés. Le lieutenant-colonel Eeles de la 2ème compagnie du 3rd Battalion du 95th Rifles se souvient : « J’interdis aux hommes de tirer avant que les cuirassiers ne se soient approchés à trente ou quarante pas du carré. La salve qui fut ensuite tirée par ma compagnie, conjuguée au feu du carré du 71st, eut un tel effet que, comme tellement d’hommes et de chevaux étaient tombés à terre en une fois, il fut quasiment impossible aux Français de poursuivre leur charge. Je crois fermement qu’à ce moment, il y eut la moitié des ennemis hors de combat »[12] concluant ainsi « Je mentionne ceci avec force détails pour prouver qu’il est parfaitement impossible à la cavalerie de s’approcher de l’infanterie lorsque celle-ci est suffisamment puissante. Elle court le plus grand danger si l’infanterie demeure déterminée et tire en même temps. »[13]
Après deux heures de combat, la cavalerie épuisée se replie. La ligne britannique a tenu et les Prussiens commencent à arriver massivement sur le champ de bataille. Sans entrer dans le débat sur l’utilité des grandes charges ou la responsabilité individuel ou collective, ces quelques témoignages prouvent que les grandes charges ne pouvaient réussir.
James Thiriar représente les cuirassiers
Thiriar par méconnaissance ou liberté artistique commet néanmoins quelques erreurs dans sa représentation de cette division de cuirassiers. Par exemple, le général ne porte pas la cuirasse ce que prescrit pourtant le décret du 6 août 1811 portant sur la tenue des cuirassiers « Tous les généraux de Division, de Brigade, Adjudants commandants, Aides de camp et Adjoints attachés au commandement ou à l’Etat-Major des Divisions de Cuirassiers seront cuirassés. »[1]
La question de la provenance reste également d’actualité, nous penchons pour une étude inachevée sur la bataille de Waterloo qui devait paraitre en 1965. Le précédent propriétaire a dû acquérir cette œuvre lors de la dispersion des biens de James Thiriar. Cette hypothèse nous semble la plus crédible puisque Thiriar vivait en Brabant-Wallon.
Représentation mythique de la bataille de Waterloo, cette œuvre a été placée dans la salle consacrée à la bataille de Waterloo au cœur du dispositif de vidéo mapping.
Quentin Debbaudt, Conservateur du musée Wellington
[1] En 1990, il n’existait pas de comité scientifique au musée Wellington collectant des informations de provenance des œuvres.
[2] Tondeur J-P, Courcelle P, Pattyn J-J, Meganck P, Les vertes bornes, les grandes charges de la cavalerie française : Waterloo 1815, les carnets de la campagnes -Nº 5, Bruxelles, les éditions de la Belle-Alliance, 2002
[3] L’Ommegang est un cortège folklorique bruxellois qui a lieu deux fois, le premier mercredi du mois de juillet et le vendredi qui suit. Depuis 1930, elle s’inspire de la joyeuse entrée de l’empereur Charles Quint et de son fils Philippe à Bruxelles en 1549.
[4] L’armée secrète à tendance royaliste était le plus important groupe de la Résistance durant l’occupation de la Belgique entre 1940 et 1944.
[5] Sur la biographie de James Thiriar voir : Biographie Belge d’Outre-Mer, Académie royale des sciences d’Outre-mer, tome VI, 1968, Pp. 983-993.
[6] Siborne H.T, Waterloo, les lettres anglaises, Bruxelles, Jourdan, 2009, P. 78.
[7] Ordonnance provisoire sur l’exercice et les manœuvres de la cavalerie, Paris, Magimel, 1804,P. 17.
[8] Ordonnance provisoire sur l’exercice et les manœuvres de la cavalerie, Paris, Magimel, 1804,P. 23.
[9] Cité par Bouhet P, « La cavalerie charge au galop, sabre au clair » in Lentz T (dir de), Les mythes de la Grande Armée, Paris, Perrin, 2022, P. 207.
[10] Sur le sujet Debbaudt Q, Zoom sur la collection : Scotland Forever !, Waterloo, musée Wellington, 2024.
[11] Cité par : Logie J, « Les grandes charges de cavalerie » in Napoléon Ier hors-série : Waterloo, Saint-Cloud, Soteca, 2007, Pp 51-52.
[1] Mercer C (Capitaine), Journal of the Waterloo campaign, London, Peter Davies, reimpression de l’édition de 1870, 1927, Pp 171-172.
[12] Siborne H.T, Waterloo, les lettres anglaises, Bruxelles, Jourdan, 2009, P. 417.
[13] Siborne H.T, Waterloo, les lettres anglaises, Bruxelles, Jourdan, 2009, P. 417.
[14] Cité par Tondeur J-P, Courcelle P, Pattyn J-J, Meganck P, Les vertes bornes, les grandes charges de la cavalerie française : Waterloo 1815, les carnets de la campagnes -Nº 5, Bruxelles, les éditions de la Belle-Alliance, 2002, P.75.
Bibliographie
Biographie Belge d’Outre-Mer, Académie royale des sciences d’Outre-mer, tome VI, 1968.
Ordonnance provisoire sur l’exercice et les manœuvres de la cavalerie, Paris, Magimel, 1804.
Brack (de) (Général), Avant-postes de cavalerie légère, Paris, LRT éditions, réimpression de l’édition de 1863, 2008.
Lentz T (dir de), Les mythes de la Grande Armée, Paris, Perrin, 2022.
Logie J, « Les grandes charges de cavalerie » in Napoléon Ier hors-série : Waterloo, Saint-Cloud, Soteca, 2007.
Mercer C (Capitaine), Journal of the Waterloo campaign, London, Peter Davies, reimpression de l’édition de 1870, 1927.
Ministère de la Guerre, Ordonnance provisoire sur l’exercice et les manœuvres de la cavalerie, Paris, Magimel, 1804.
Siborne H.T, Waterloo, les lettres anglaises, Bruxelles, Jourdan, 2009.
Tondeur J-P, Courcelle P, Pattyn J-J, Meganck P, Les vertes bornes, les grandes charges de la cavalerie française : Waterloo 1815, les carnets de la campagnes -Nº 5, Bruxelles, les éditions de la Belle-Alliance, 2002.
Sources web
Debbaudt Q, Zoom sur la collection : Scotland Forever !, Waterloo, musée Wellington, 2024 disponible sur : https://www.museewellington.be/scotland-forever/ (consulté le 10 mai 2024).