Le Musée Wellington présente dans la salle des armes un très rare brassard de sous-officier de la Landsturm. Cette rareté est due à la présence de textile d’époque. Cette pièce est un dépôt du Militärhistorische Museum der Bundeswehr in Dresden inventoriée sous le numéro BAAL0454.
Description
Le brassard est constitué d’une bande de tissus en coton de 6,5 cm sur 19 cm constitué d’une bande blanche délimitée par deux bandes noires. Le noir et le blanc étant les couleurs du royaume de Prusse[1].
Au centre, le brassard est orné d’une croix de fer en fer. La croix de fer est un insigne prussien souvent attribué aux Première et Seconde guerre Mondiales par le grand public, pourtant cet insigne existe depuis 1813.
Le dessin de la croix de fer fut conçu par l’architecte néo-classique Karl Friedrich Schinkel (1781-1841) en 1813 afin de récompenser les soldats prussiens engagés dans la lutte contre Napoléon. Elle se compose de quatre pointes évasées symétriques. Le symbolisme de la croix de fer est à rechercher dans l’épopée des chevaliers Teutoniques qui furent à l’origine de l’état prussien[2].
La croix de fer est depuis 1813, une haute distinction militaire allemande qui était attribuée sans tenir compte du grade ou de la classe sociale de la personne à qui elle était attribuée. Jusqu’en 1918, il exista trois classes : la croix de fer de 2e classe, la croix de fer de 1re classe et la grand-croix (Grosskreuz) de la croix de fer.
En 1918, la croix de fer n’est plus remise jusqu’à l’entrée en guerre du Troisième Reich en 1939, date à laquelle Adolph Hitler l’a remise en service en y rajoutant une croix gammée. Depuis mai 1945, la croix de fer n’est plus remise mais symbolise toujours la Bundeswehr.
La Belgique a attribué une croix de fer belge à partir de 1833 afin de récompenser 1.031 combattants de la révolution de 1830.
La Landsturm
En 1806, Napoléon raye de la carte le royaume de Prusse et son armée en 5 jours. Par la suite, ce pays est durement traité et occupé par les Français et se retrouve intégré dans le système continental mis en place par l’Empereur.
Ce système s’effondre après la campagne de Russie qui décime la Grande Armée et voit l’armée russe entrer en territoire prussien. Dès lors, des corps francs se forment pour accélérer la libération du territoire. Le 28 février 1813, le roi de Prusse se joint à la Russie et la Grande-Bretagne pour une marche qui ne s’arrêtera qu’en avril 1814 à Paris.
En attendant, un décret royal du 21 avril 1813 est promulgué par Frédéric-Guillaume III pour appeler son peuple à se soulever contre Napoléon. Cet appel au peuple est une nouveauté dans la manière de mener la guerre qui était strictement réservée aux militaires quelques années plus tôt. Les forces de police devant même collaborer avec les armées étrangères afin de garantir l’ordre. L’exemple espagnol d’une guérilla victorieuse appelée aussi « la petite guerre » change totalement la donne et inspire les Prussiens. C’est ainsi que le roi de Prusse écrit dans la proclamation An Mein Volk du 17 mars 1813 « Regardez le grand exemple de nos puissants alliés, les Russes ; regardez les Espagnols, les Portugais. Car ces peuples encore plus faibles sont allés contre des ennemis plus puissants et en sont revenus triomphants ».[3] C’est ainsi que la Landsturm est légitimée.
Le décret fut néanmoins modifié le 17 juillet 1813 afin que le Landsturm devienne une milice de défense nationale avec un encadrement plus formel.
L’habillement est formalisé par l’ordonnance royale du 17 mars 1815 « Il peut être constitué par une litewka[4] de drap bleu ou noir avec un col à la couleur de la province, un large pantalon de toile blanche, des bottes ou souliers, ces derniers portés avec des courtes guêtres grises, une casquette du même drap que la litewka avec un bandeau de la couleur du col »[5]
Le Landsturm en 1815
Pour comprendre le rôle de landsturmmann[6], il faut s’intéresser au système de conscription allemand. Ce système est différent de celui du système français. La Landwehr et la Landsturm ne correspondent pas à la garde nationale française. La démographie prussienne étant très prolifique, une classe d’âge était souvent plus nombreuse que les besoins en effectifs de l’armée. De ce fait, un certain nombre d’hommes échappaient au service militaire. Cependant, il était utile d’entrainer un minimum des hommes qui pourraient être appelé à combattre. C’est pourquoi la Prusse s’est servie du Landsturm comme unité territoriale de réserve pour les vingtenaires non-mobilisés et les hommes plus âgés qui allaient au front en cas de besoin.
Le landsturm est donc aussi la réserve de la Landwehr. Ce système d’embrigadement peu contraignant permit à la Prusse d’aligner sur le papier d’important contingents en 1815. Cependant une partie de ces troupes était peu qualitative en termes d’encadrement, d’armement et même d’uniforme qui se limitaient le plus souvent au strict minimum[7].
De tradition populaire, les Landsturm et Landwehr gardent un système assez étonnant de sélection des cadres, c’est ainsi que les sous-officiers étaient élus par la troupe, les officiers subalternes étaient désignés par le parlement provincial duquel l’unité était issue et les officiers supérieurs étaient nommés par le roi[8].
Lors de la campagne de 1815, des landsturmann seront engagé dans des unités de la Landwehr à Ligny, Waterloo, Wavre et Namur puis poursuivront les Français en participant notamment au siège de Givet[9].
Conclusion
En plus de constituer une collaboration prestigieuse pour le musée Wellington, le dépôt de ce brassard appartenant au Militärhistorische Museum der Bundeswehr in Dresden a tout son intérêt pour le site mémoriel, touristique et scientifique que nous sommes.
Dans notre musée, se mêlent inextricablement les mémoires Britanniques, Hollandaises, Françaises et Allemandes qui ont au XIXème siècle construit des histoires différentes. Pour la partie Allemande, l’histoire de cette armée populaire que fut la Landwehr mais aussi la Landsturm est un véritable mythe fondateur de l’histoire mémorielle d’outre-Rhin.
Les auteurs des Carnets de campagne ont parfaitement résumé cette importance mémorielle : « Au point de vue politique, la landwehr jouera un rôle fondamental, quasi mythologique, en incarnant l’éveil du pangermanisme et l’élan national contre le Français, ennemi héréditaire »[10]
Il était donc important pour le Musée Wellington d’exposer une pièce historique rappelant ces unités prussiennes dont les défauts en termes d’équipement furent considérablement rattrapés par le courage au feu et le dévouement à leur cause.
Quentin Debbaudt, Conservateur du Musée Wellington
[1] La Prusse est un ancien pays formé en 1701 et intégré en 1871 à l’Empire allemand.
[2] Les chevaliers teutoniques sont les membres d’un ordre monastique militaire chrétien créé à la fin du XIIème siècle à l’occasion des croisades en Terre sainte. Néanmoins leur action s’est essentiellement déroulée lors des croisades baltes, notamment dans les territoires de Prusse.
[3] Frédéric-Guillaume III (roi de Prusse), An Mein Volk, Breslau, 1813.
[4] Veste fermée par deux rangs de boutons qui arrive jusqu’aux genoux, habit d’économie qui ressemble aux vestes portées par la paysannerie.
[5] Ordonnance royale du 17 mars 1815, 1815 (la date est redondante).
[6] Homme qui fait partie du Landsturm.
[7] L’uniforme de Landwehrmann est aujourd’hui prisé par les reconstitueurs débutants car il demande un moindre investissement financier.
[8] Tondeur J-P, Courcelle P, Pattyn J-J, Meganck P, Plancenoit, les carnets de campagne – numéro 6, Bruxelles, Editions de la Belle-Alliance, 2003, P.30.
[9] Sur le sujet : Debbaudt Q, Le siège de Givet, Napoléon Ier magazine, 2020.
[10] Tondeur J-P, Courcelle P, Pattyn J-J, Meganck P, Plancenoit, les carnets de campagne – numéro 6, Bruxelles, Editions de la Belle-Alliance, 2003, P.3
Bibliographie
Liste nominative extraite du Moniteur, de 1031 citoyens proposés pour la croix de fer, par la Commission des récompenses honorifiques, Ratinck, 1835.
Ordonnance royale du 17 mars 1815, 1815.
Debbaudt Q, Le siège de Givet, Napoléon Ier magazine, 2020.
Frédéric-Guillaume III (roi de Prusse), An Mein Volk, Breslau, 1813.
Nash D, The Prussian Army, 1808-1815, London, Almark, 1972.
Tondeur J-P, Courcelle P, Pattyn J-J, Meganck P, Plancenoit, les carnets de campagne – numéro 6, Bruxelles, Editions de la Belle-Alliance, 2003.