Comme la France et l’Allemagne, l’Autriche a vu se développer à la fin du 19e siècle une histoire militaire nationale, basée exclusivement sur les opérations et les combats. Un grand vide s’est ensuite installé avec la disparition de l’Empire austro-hongrois après 1918. Le genre ne s’est pas renouvelé. À l’heure actuelle, la meilleure synthèse reste l’ouvrage de Gunther E. Rothenberg, Napoleon’s Great Adversary: The Archduke Charles and the Austrian Army 1792-1814 (Staplehurst, Spellmount, 1995). L’histoire de l’empire des Habsbourg à un niveau politique global a par contre suscité des travaux plus récents et de grande qualité (Charles W. Ingrao, Martin Rady, A. Wess Mitchell).
En 1781, l’empereur Joseph II instaura un système de conscription en Autriche et en Bohème. Les Pays-Bas (l’actuelle Belgique), le Tyrol, le Milanais gardaient le service volontaire. La Hongrie avait un régime spécial, les autorités locales gardant la main sur les levées. L’armée autrichienne était donc très nombreuse dans les années 1780 pour affronter les Turcs dans les Balkans. Mais elle avait repris son pied de paix lorsque la France révolutionnaire déclara la guerre en avril 1792. Les premiers affrontements donnèrent l’impression qu’il ne fallait pas craindre une France en pleins bouleversements et désordres. Les régiments recrutés en Belgique et appelés « wallons » firent bonne figure face aux Français. François de Clerfayt, un Binchois, fut un des principaux généraux autrichiens de cette période. Mais c’est l’archiduc Charles, frère cadet de l’empereur François II, qui s’imposa comme le meilleur chef de guerre. Les victoires qu’il remporta sur le Rhin n’empêchèrent pas la France de garder la Belgique ni de triompher de la Première Coalition. Les Habsbourg agrandirent cependant leur territoire de la Vénétie lors du traité de Campo Formio.
Des réformes militaires s’imposaient face au défi français. Un nouveau fusil d’infanterie fut adopté à partir de 1798 et un casque en cuir « à la Minerve » remplaça la Casket. Mais, comme toujours dans l’armée autrichienne, on usa les anciens effets au maximum avant de les remplacer. L’armée des Habsbourg dut encore subir l’humiliant échec de Hohenlindent en Bavière (3 décembre 1800) pour que l’archiduc Charles puisse rénover de fond en comble l’appareil militaire. Il savait que cela prendrait du temps. Le Conseil aulique de la Guerre (Hofkriegsrat) fut placé sous la tutelle du ministère de la Guerre, occupé par l’archiduc. Le Saint-Empire romain germanique connut un « recès », c’est-à-dire une rationalisation interne supprimant quantité de petites principautés et sécularisant des monastères, conséquence de l’emprise croissante de la France en Allemagne. François II se proclama empereur d’Autriche en 1804, devenant dès lors François Ier.
Le général Mack von Leiberich proposa alors à ce dernier une réforme militaire beaucoup plus rapide que celle de l’archiduc Charles. Une troisième coalition se formait contre la France, avec la Russie. Mack obtint gain de cause et fut placé à la tête d’une armée qui envahit la Bavière, alliée de la France, en septembre 1805. Napoléon abandonna son projet d’envahir l’Angleterre et encercla les forces de Mack qui durent capituler à Ulm le 20 octobre. Mack avait tellement désorganisé l’armée autrichienne en changeant les structures régimentaires que les soldats ne connaissaient plus ceux qui les entouraient. On sait aujourd’hui que la solidarité, la camaraderie, l’esprit de corps sont essentiels pour motiver des hommes à se battre.
Le désastre d’Austerlitz et la paix de Presbourg ramenèrent l’archiduc Charles aux commandes des réformes qui s’imposaient. Il patronna un nouveau règlement pour l’infanterie et composa pour les officiers généraux un manuel d’initiation aux grandes opérations, illustré par des cartes. Son frère cadet l’archiduc Jean obtint la création d’une milice (Landwehr) impliquant davantage le peuple dans la lutte contre la France, qui ne manquerait pas de reprendre. Un « parti de la guerre » la fit redémarrer début 1809, alors que Napoléon était en Espagne. Pour l’archiduc Charles, c’était trop tôt. Il accepta néanmoins de commander l’armée principale. Elle montra qu’elle avait changé en faisant subir à Napoléon son premier échec en rase campagne : après la bataille d’Aspern (Essling), l’armée française dut repasser le Danube. Mais elle le franchit à nouveau début juillet et repoussa l’archiduc à Wagram. L’armée autrichienne n’était pourtant pas détruite, elle résista encore à Znaïm mais la paix fut signée à Schoenbrunn en octobre et l’Autriche était une fois de plus vaincue. L’archiduc Charles ne reprendrait plus jamais de commandement en campagne.
L’Autriche cependant se prépara à la revanche. Par un système de réservistes et de mises en congé, elle entretint une armée dépassant le nombre de 150.000 hommes imposé par la paix de Schoenbrunn. Si bien qu’en 1813, elle aligna l’effectif le plus important des armées rassemblées par la coalition regroupant la Russie et la Prusse. Le prince de Schwarzenberg devint ainsi le commandant en chef des forces alliées qui vainquirent Napoléon et sa Grande Armée à Leipzig du 16 au 19 octobre 1813, avant d’envahir la France.
Bruno Colson