La légion belge en 1814

Les légions belges dans l'histoire

L’objet de notre intervention au colloque organisé par le musée Wellington et la délégation de Belgique du Souvenir Napoléonien, ce 22 septembre 2024 a pour sujet la légion belge telle qu’elle fut organisée le 13 février 1814 jusqu’à son intégration dans l’armée du Royaume des Pays-Bas à partir de juin 1814.

Cette unité n’a eu qu’une brève existence qui est néanmoins intéressante car son histoire se place aux confluences de la guerre, de la diplomatie, de l’administration d’un territoire bouleversé et enfin de l’idée d’une nation belge.

Il y a eu plusieurs « légion belge » à travers l’histoire ce qui rend son étude plus compliquée quand il s’agit de chercher des sources :

          1792 : Les vaincus de la révolution brabançonne forment une légion belge en France qui accompagnera la conquête française de la Belgique.

          1814 : Les coalisés autorisent la formation de troupes issues des Anciens Pays-Bas, c’est cette légion qui intéresse notre contribution.

          1848 : Pendant le “printemps des peuples” des républicains belges forment en France une légion pour renverser Léopold Ier. Ils sont défaits à la bataille de Risquons-tout[1].

          1864-1867: L’impératrice du Mexique Charlotte, soeur de Léopold II, lève une légion belge pour soutenir l’établissement de son mari Maximilien.

          1940: Le capitaine-commandant Charles Claser constitue un mouvement de résistance nommé la “légion belge” qui devient “l’armée de Belgique” en 1942 puis se fond dans “L’armée secrète” en 1944.

Le qualificatif de « belge » en lui-même est usité assez couramment depuis les Ducs Bourgogne qui au XVème siècle dans le manuscrit des Chroniques de Hainaut[2] établissent la fondation mythique d’un royaume Belge à l’image de Rome par Bavon de Phrygie.

Se référer au terme belge c’est donc se référer à un peuple antique dont Jules César, lui-même a reconnu les mérites guerriers. L’anticomanie étant très présente dans la culture de l’époque des guerres de la Révolution et de l’Empire cela n’a rien de surprenant.

La fin de l'Empire napoléonien en Belgique

Après le désastre de Russie (1812) et la bataille de Leipzig (1813), l’Empire se replie derrière le Rhin, talonné par les troupes coalisées.

Celui-ci est franchi par Blücher (1742-1819) à Kaub au Nouvel an 1814. Dès lors, les faibles troupes à la disposition des défenseurs des départements septentrionaux ne peuvent endiguer l’avancée des Coalisés malgré quelques succès comme à Berg-op-Zoom[1]. Les Hollandais se soulèvent et arrivent à chasser les Français affaiblis.

Les autorités françaises évacuent ensuite la Belgique comme le rappelle Joseph-Robert Calmon-Maison « A Bruxelles, le comte de Pontécoulant, commissaire extraordinaire, ordonne aux préfets de prendre secrètement leurs mesures d’évacuation […] Spectacle douloureux : ce n’est pas seulement une armée française qui bat en retraite, c’est la France elle-même qui recule et abandonne des provinces qu’elle avait crues définitivement conquises, annexées, incorporées à son empire »[2].

Le 21 janvier Liège est prise suivie de Bruxelles, le 1er février. Waterloo est atteinte le même jour par les Cosaques du Tzar reçu par les waterlootois aux cris de « Vive Alexandre ». Le chanoine Tellier résumé le sentiment de nombreux Belges « En général, on était bien aise de l’arrivée des Cosaques. Ce n’est pas qu’on désirait l’arrivée de ces hordes à demi sauvages, mais on était content d’être délivrés des Français » poursuivant « D’ailleurs, nous étions loin d’être les partisans de Napoléon. Je me souviendrai toujours de la désolation qui régnait dans le village lorsque les conscrits allaient faire leurs adieux à leurs parents et à leurs voisins » [3].

Seule la forteresse d’Anvers et plus brièvement Ostende résistent sous la conduite de Lazare Carnot (1753-1823) pour la première. Néanmoins les troupes du général Nicolas-Joseph Maison (1771-1840), auquel Napoléon destinait un bâton de Maréchal[4], se sont repliées dans les départements formant l’actuel Haut-de-France et menacent d’un retour en force !

Réagissant à cet abandon de la Belgique, Napoléon fait écrire au Général Maison par Clarke (1765-1816) alors Ministre de la guerre  « Sa Majesté voit avec peine que, au lieu de rassembler 15 à 18 000 hommes qui doivent être dans les garnisons du Nord pour agir contre l’ennemi et le rejeter dans la Hollande, vous vous êtes enfermé dans les places, et que vous laissez l’ennemi maître de toute la Belgique »[5]

Comment remplacer le vide ?

Les Coalisés doivent maintenant administrer la Belgique qu’aucune figure assez forte ne peut prétendre diriger à la différence des Hollandais qui se sont réunis autour de la famille d’Orange-Nassau qui détenait historiquement la fonction de Stadhouder[1].

La Belgique est divisée en deux zones séparée par la Meuse. La partie à l’Est passant sous le contrôle de la Prusse tandis que la partie Ouest sera administré par la maison d’Autriche.

Les Prussiens prennent néanmoins un ascendant en Belgique sous l’impulsion du Duc Charles de Saxe-Weimar (1757-1828).

Le 15 février, les coalisés mettent en place un gouvernement provisoire composé de 11 notables dont se détache la personnalité du Comte Frédéric-Auguste de Beaufort (1751-1817), gouverneur général de la Belgique. Le Baron de Poederlé (1773-1815) étant secrétaire général à la guerre.

Quel recrutement ?

Le recrutement de la légion est divisible en deux période, un première période est basée sur un recrutement de volontaires n’ayant pas ou très peu d’expérience militaire souvent encadrés par des officiers ayant l’expérience de l’armée autrichienne.

Une seconde période s’ouvre à la suite de l’armistice du 6 avril entre les Coalisés et les Français. Les soldats belges de la Grande Armée sont dirigés sur Lille puis licenciés et renvoyés dans leurs foyers. Comme étrangers, ils ne percevront pas de demi-soldes et offrent un vivier de recrutement pour la légion. Ces soldats ont l’expérience des armes mais quel serait leur comportement devant une menace française ?

Les Belges de la première période qui s’engagent prennent plus de risques que d’autres soldats coalisés car ils pourraient être considérés comme traitres en cas de capture et passés par les armes. C’est ce qui a failli se produire, lors du combat de Gand du 26 mars 1814. Le Général Maison entend faire fusiller des prisonniers de la légion belge[1] en les qualifiant de traître. Il faudra l’intervention de Carl Friedrich von Lottum (1767-1841)[2] pour convaincre Maison de renoncer à l’exécution et de considérer les légionnaires comme des prisonniers de guerre.

En juin, du fait de l’arrêt de la guerre contre la France mais aussi du manque de ressources financières, le recrutement cesse.

Pour commander les troupes de la Légion Belge, il faut un homme qui n’a pas de liens avec l’Empire Français et avec une certaine expérience de la guerre. Ce sera le comte de Murray, belge devenu lieutenant-général dans l’armée autrichienne qui sera nommé commandant de la légion le 18 mars 1814.

La force militaire de la légion belge

La légion belge s’impose comme l’armée des territoires belges dont le destin n’est pas encore défini par le Congrès de Vienne.

Son infanterie se composait de 4 régiments issus des 4 grandes provinces historiques de la Belgique autrichienne, le Brabant, la Flandre, le Hainaut et Namur. Le rattachement du Luxembourg et de Liège à l’entité politique belge ne coulait pas de source.

Le 1er régiment d’infanterie était stationné au petit-château à Bruxelles, le 2ème régiment à Ypres et Furnes, le 3ème régiment à Namur et le 4ème régiment à Tournai.

Une vrai valeur militaire ?

Les batailles des Quatre-Bras et de Waterloo prouveront la valeur des troupes belges dont le creuset fut la légion belge.

La légion belge a pu prouver sa valeur au combat lors d’engagements sur le territoire belge pendant la campagne de 1814.

Le 26 mars, les élèves artilleurs du Colonel Polis avec deux canons soutenant 200 cosaques du Colonel Bichalov tentèrent d’empêcher le Général Maison et ses 5000 soldats de s’emparer de Gand mais furent fait prisonniers au terme d’une courageuse résistance.

Le 4ème régiment aidé d’une demi-batterie d’artillerie repousse l’offensive du général Roguet sur Tournai, le 31 mars.

Charles-Albert Louis Alexandre Henri van der Burch (1779-1854) est à l’origine de la création de la cavalerie belge. Page de Louis XVI dans sa jeunesse, van der Burch est également apparenté au baron von Vincent[1] par son mariage. Ce dernier a la charge de la Belgique entre le 5 mai et le 30 juillet 1814.

Cet appui lui permet d’obtenir du Duc de Saxe-Weimar, le 13 février 1814, l’autorisation de former un régiment de cavalerie. La caserne des Annonciades à Bruxelles devient le dépôt du régiment.

Le 1er mars, le Comte de Croÿ met sur pieds un régiment de hussards belges suivi par un régiment de carabiniers belges, le 1er septembre.

L’artillerie, arme technique est plus compliquée à mettre en place mais devient opérationnelle grâce aux efforts du Colonel d’Amont de Schwamberg et du Major van der Smissen. Ils s’illustrent contre les Français en défendant Gand puis Tournai.

Les témoins de l’époque semblent satisfaits ainsi le Journal de la Belgique écrit à la date du 8 mars 1815 : « Le 7e bataillon belge, dans les rangs duquel on remarque avec plaisir des officiers qui se sont distingués dans les armées françaises et autrichienne, s’est fait admirer par une précision et une promptitude de mouvements qui feraient honneur aux troupes les plus exercées. »

Conclusion

Le protocole de Londres du 20 juin 1814 qui précède le congrès de Vienne prévoit la réunion des anciens Pays-Bas sous la férule de Guillaume d’Orange.

Ce protocole met fin aux possibilités d’une indépendance des Pays-Bas méridionaux mais aussi d’un rattachement à l’Autriche ou la France. Dès lors, une légion belge n’a plus de signification et le 1er août 1814, Guillaume d’Orange donne l’ordre aux lieutenants généraux Janssens et Tindal d’amalgamer Belges et Néerlandais dans une seule armée.

Si l’étude de la légion belge reste anecdotique au vu de son impact sur l’histoire militaire des guerres napoléoniennes, elle n’en reste pas moins intéressante pour l’étude de l’histoire de la Belgique et des prémisses de l’armée belge.

Bibliographie

Arcq A et Gaillard P, Les années cosaques : 1813-1814, Allonzier,  Historic’one, 2010.

Calmon-Maison JR, « Le Général Maison et le 1er corps de la Grande Armée » in Revue des deux Mondes – 19, 1914.

Clarke (ministre de la Guerre), lettre au Général Maison, 22 février 1814.

Journal de la Belgique, 8 mars 1815.

Rahier A, « La nécessaire négociation d’une occupation. Les accommodements noués par les responsables communaux des villes de Herve et de Nivelles entre les régimes français et hollandais (1814-1815 ) » in Revue du Nord – 4, 2021 Pp. 679-706.

Terlinden Charles (Vicomte), Histoire militaire des Belges, Bruxelles, La renaissance du livre, 1968.

Vander Cruysen Y, Waterloo: 70 000 ans d’histoire, Bruxelles, Editions Jourdan, 2017.

 

Sources web

Warnauts J-P (Colonel), « Historique de la cavalerie belge » in Club Royal des Officiers du Régiment des Guides disponible sur https://clubroyaldesguides.be/fr/2015-03-27-11-41-19/historique-de-la-cavalerie (consulté le 3 septembre 2024).

Courtial M-M, « Le bataillon 1/3 Lanciers, unité d’infanterie vers un retour à ses origines de cavalerie » in A l’avant-garde, 14 juin 2022 disponible sur https://defencebelgium.com/2022/06/14/le-bataillon-1-3-lanciers-unite-dinfanterie-vers-un-retour-a-ses-origines-de-cavalerie/#:~:text=Le%20bataillon%201%2F3%20Lanciers%20en%20est%20la%20parfaite%20illustration,sein%20de%20la%20D%C3%A9fense%20belge.(consulté le 4 septembre 2024).

Debbaudt Q, “Les monnaies du siège d’Anvers (1814)” in zoom sur la collection, Waterloo, 2021 disponible sur https://www.museewellington.be/monnais-anvers-1814/   (consulté le 19 septembre 2024).