La gare de Waterloo et sa ligne ferroviaire

La naissance du rail en Grande-Bretagne

La Grande-Bretagne est le berceau de l’histoire ferroviaire. C’est en 1804 que la première locomotive à vapeur est construite par Richard Trevithick (1771-1833). A l’époque, il est de coutume de donner des noms aux locomotives qui sont encore loin d’être le produit industriel de masse qu’elles seront un siècle plus tard. Certaines locomotives portent des noms qui rendent hommage aux victoires britanniques lors des French Wars[1]

C’est le cas de la Salamanca construite en 1812 par Matthew Murray (1765-1826), pour les houillères de Middleton, qui rend hommage à la victoire britannique de la bataille de Salamanque[2]. Il y eu également la Lord Wellington construite en 1813 puis la Marquis de Wellington en 1814 par Murray pour les houillères de Wellington.

 

Locomotive Salamanca de Matthew Murray publié dans the British Railway Locomotive 1803-1853.

Georges Stephenson (1781-1848) assemble son premier prototype en 1814, c’est une chaudière cylindrique horizontale, munie de 4 roues entraînées à l’aide de manivelles par les pistons de 2 cylindres verticaux. En 1817, il met au point une locomotive, qui peut remorquer un train de charbon de 70 tonnes.

Lors de cette première phase, il n’était pas question de transporter des humains mais seulement des marchandises et surtout du charbon dont les usines britanniques avaient besoin pour actionner les machines à vapeur de la révolution industrielle.

 

La première ligne pour passager sera construite par Stephenson qui devient le père du train commercial et laisse son nom dans l’histoire. Il s’agissait de la ligne entre Liverpool et Manchester inaugurée en 1830.

La rail, une histoire belge

La Belgique a été le second pays européen à développer un réseau ferré, l’expérience française de Marc Segain (1786-1875) ne peut pas être prise en compte du fait de la brièveté de l’existence de la ligne de Saint-Etienne à Lyon en 1832[3].

C’est sous l’impulsion du roi Léopold Ier (1790-1865) qui a vécu en Grande-Bretagne que les réticences à développer un réseau ferroviaire seront dépassées. En effet, les gazettes de l’époque regorgent d’articles de « spécialistes » qui prétendent que la vitesse des trains fera tourner le lait des vaches prises de panique ou encore qu’à plus de 30km/h, les passagers seront broyés contre leur banquette. Idées répandues qui ne sont pas sans rappeler les « fake news » et autre complotisme des réseaux sociaux d’aujourd’hui.

Les ingénieurs Pierre Simons (1797-1843) et Gustave De Ridder (1795-1862) en collaboration avec Georges Stephenson traceront la première ligne du pays entre Bruxelles et Malines qui sera inaugurée le 5 mai 1835.

Dès lors, les autorités belges comprennent la nécessité de développer un réseau ferroviaire d’abord centré autour de Malines puis de Bruxelles. Le premier objectif fut de relier le bassin de la Ruhr au port d’Anvers en passant par le bassin sidérurgique liégeois puis de relier Bruxelles à Lille pour des raisons diplomatiques. Lille est atteinte en 1842 et il faudra attendre 1846 pour que cette dernière soit reliée à Paris !

La première locomotive belge fut assemblée par John Cockerill (1790-1840) à Seraing et se nommait Le Belge, nom qui démontre la fierté que représentait cette machine. Une copie grandeur nature est aujourd’hui visible à Train World et une autre à Vresse-sur-Semois.

Reproduction en bois à l’échelle 1/1 exposée à Train World

La Belgique possédant le savoir-faire technique, le charbon, les usines de construction et la volonté politique nécessaire va connaitre une véritable fièvre ferroviaire qui verra notre réseau s’étendre à 2231 km en 1870 dont 863 km gérés par l’état[4]. Ce développement considérable sera dopé par les capitaux britanniques dont les possesseurs cherchaient des placements rentables et prometteurs.

Dans les années 1860, la production industrielle de la région de Charleroi augmente et ses besoins d’exportation aussi. Le Conseil provincial du Brabant souhaite également que ses usines puissent trouver un débouché direct vers Anvers.

C’est pourquoi, le 24 janvier 1865[5] le gouvernement décide de construire la ligne 124, les expropriations des terrains sur lesquels passera la future ligne commencent en 1869.

Au XIXème siècle, une ligne est inaugurée par étapes et sa mise en circulation se fait gare par gare, les principales étapes furent les suivantes :

 

  • 20 septembre 1873 : Bruxelles-Midi – Uccle-Calevoet
  • 22 décembre 1873 : Uccle-Calevoet – Rhode-St-Genèse
  • 01 février 1874 : Rhode-St-Genèse – Waterloo
  • 10 mars 1874 : Waterloo – Braine-l’Alleud
  • 10 avril 1874 : Braine-l’Alleud – Lillois
  • 01 juin 1874 : Lillois – Luttre
Carte du réseau belge en 1870. La ligne 124
Tracé de la ligne 124.

La ligne rejoignant ensuite la ligne entre Luttre et Charleroi qui existe depuis 1843. La nouvelle ligne, en plus de relier de nouvelles communes au trafic ferroviaire évite de faire un détour par Braine-le-Comte pour relier Bruxelles à Charleroi.

Les principaux ouvrages d’art de cette ligne au dénivelé assez facile sont situés à Uccle, deux viaducs sont construits de part et d’autre de la gare de Calevoet. Pour franchir la vallée de l’Ukkelbeek via un viaduc de 15 mètres de hauteur. Un second est nécessaire pour franchir la vallée de la Geleijtsbeek à une hauteur de 38 mètres[6].

Durant les années 1930, la SNCB souhaite rattraper son retard en termes d’électrification. A titre de comparaison, le réseau suisse est électrifié au début du XXème siècle. La première ligne électrifiée du pays, fut une ligne vicinale[7] en 1930, la ligne 160 exploitée entre Bruxelles Quartier Léopold[8] et Tervueren par la Société du Chemin de fer électrique de Bruxelles-Tervueren. Tandis que la première ligne à écartement standard électrifiée fut la ligne 25 entre Bruxelles et Anvers inaugurée le 5 mai 1935 pour accueillir dignement nos visiteurs d’outre-Atlantique lors de l’exposition universelle se tenant sur le plateau du Heysel. Le matériel roulant était constitué par des AM 35 (Automotrice 1935) produites au Ateliers de constructions électriques de Charleroi (ACEC) fondés par la famille Empain en 1904 sous l’impulsion de Léopold II[9].

La Seconde Guerre mondiale retarde l’électrification du réseau ferroviaire belge et c’est le 19 novembre 1949 que s’achève l’électrification de la ligne 124 permettant aux locomotives électriques de relier le bassin industriel de Charleroi au port d’Anvers. La vitesse maximum des trains est portée à 120 km/h. Les lignes de contact sont alimentées en courant continu 3.000 Volts par des sous-stations réparties le long des voies, distantes de 30 à 40 km.

Les premières locomotives électriques à parcourir la ligne 124 sont des locomotives de la série 29 (à ne pas confondre avec le type 29 qui est une locomotive à vapeur) assemblées par Baume et Marpent avec un moteur électrique provenant des ACEC. Ces locomotives s’inspirent fortement de la BB 300 française produite dans les années 30 par Alsthom[10]. Elles restèrent en service jusqu’en 1983.

La ligne est endeuillée par la catastrophe du pont de Luttre, le 15 août 1974. Une rame de quatre automotrices, assurant le Charleroi – Anvers, déraille alors qu’elle roulait à vive allure après avoir quitté la gare de Luttre. Une voiture dévale le talus puis la suivante s’écrase sur la structure métallique du pont et prend feu. L’accident fait 18 morts et 48 blessés. Un mauvais entretien du pont semblerait en être la cause.

 
Locomotive électrique de la série 29 appartenant à Train World Heritage, conservée à Treignes exposée lors d’un évènement à Bruxelles-Midi. @mediarail.be

En 2020, Infrabel, le gestionnaire du réseau rénove complètement les installations.

La ligne 124, entre également dans le cadre du projet RER afin de permettre aux habitants de la périphérie bruxelloise de disposer d’un train toutes les 15 minutes.

Ce projet nécessite la mise à 4 voies afin de conserver un espace pour les trains IC qui relient les grandes gares. La mise en service du RER a pris de nombreux retards à cause de la répartition du financement entre la Flandre et la Wallonie basé sur la démographie et non sur les contraintes techniques. Certaines procédures d’expropriation furent longues et retardèrent d’autant plus les travaux. Enfin, d’inévitables retards de chantiers ont encore fait trainer la réalisation du RER.

C’est dans le contexte de la nouvelle offre incarnée par le projet du RER qu’il faut comprendre le besoin de repenser les gares de la grande périphérie bruxelloise comme celle de Waterloo. Cette dernière accueille chaque jour en semaine une moyenne de 2.500 voyageurs, la gare la plus fréquentée du Brabant-Wallon étant celle d’Ottignies avec 20.000 voyageurs.

Histoire de la gare de Waterloo

La gare de Waterloo fut édifiée en 1874 par la compagnie des chemins de fer de l’état belge qui était à l’origine de la construction de la ligne 124. Cette compagnie deviendra la SNCB en 1926.

Le style utilisé est typique des gares de la compagnie des chemins de fer de l’état belge à une époque où chaque compagnie différenciait ses gares par une architecture différente. La façade en briques rouges dont les murs sont sommés de pignons à redans marque le style néo-renaissance flamande. Ce style bien visible aux gares de Schaerbeek (1887) et Jette (1892) évoque la prospérité des villes commerçantes de la Renaissance, héritage dont le monde ferroviaire se réclame.

 

L’abri situé sur la voie 2 possède d’intéressantes colonnettes en fer forgé d’inspiration Art-Nouveau qui témoignent de la diffusion de ce style en province et sa réappropriation par l’industrie.

La gare de Waterloo au XIXème siècle. @railstation.be

En parallèle se développe un service marchandise qui sera fermé le 28 septembre 1987. Cette fermeture est une illustration du déclin qui touche le service marchandise après la Seconde Guerre mondiale plongeant les comptes de la SNCB dans le rouge. Avant-guerre, 50% des recettes de la SNCB provenait de ce service et permettait de maintenir un service voyageur à prix démocratique[11].

Au XIXème siècle, une gare est synonyme de progrès et de prospérité économique. Si l’on songe bien entendu aux touristes qui ne devront plus emprunter de calèches entre Bruxelles et Waterloo ou à partir de la gare de Groenendael, l’apparition d’une gare va profondément modifier le quartier.

C’est ainsi qu’un pôle industriel se forme dans une commune qui était auparavant connue pour ses paveurs, ses activités sylvicoles, son agriculture et son tourisme. La zone occupée aujourd’hui par diverses entreprises de services était dévolue aux activités de la teinturerie industrielle Smeets.

Une gare n’est pas que le lieu à partir duquel on monte ou descend d’un train, c’est le nœud de toutes les communications entre la localité et le reste du monde. C’est ainsi que les trains postaux distribuent le courrier (préalablement trié à bord du train) destiné à la localité et embarquent le courrier envoyé à partir de la localité. Jusque dans les années 1990, le courrier était essentiellement transporté par voie ferroviaire, en témoigne l’imposant centre du tri construit en 1957 à Bruxelles-Midi, équipé d’une voie postale.

 
Automotrice postale 964 à Waterloo en 1989, collection Train World Heritage.

Le train transporte aussi les valeurs monétaires nécessaires à la vie économique du pays à une époque où le paiement électronique n’existe pas. Enfin, il livre des quantités importantes de marchandises venant du monde entier qui garniront les échoppes des commerçants.

Ce cachet en relief était utilisé pour sceller des sacs d’argent servant au transport des encaissements de la gare. Pour ce faire, le cachet était apposé sur de la cire rouge chaude, le texte et l’image du sceau devenant ainsi visibles sur le cachet de cire. Au centre se trouvent des armoiries couronnées d’un lion et en dessous la devise « l’union fait la force » travaillée dans un ruban.

En 2021, la gare devenue vétuste et ayant perdu son identité architecturale est démolie pour permettre le développement d’un nouveau pôle ferroviaire à Waterloo. Eurogare[12] a investi 6.000.000 € dans la réalisation de la nouvelle gare dont les plans sont élaborés par Tuc-rail[13]

La nouvelle gare qui s’est offerte aux navetteurs waterlootois est issue d’un nouveau concept dont la gare de Bruxelles-Luxembourg fut le laboratoire entre 1990 et 2009.

Dépassant la volonté de prestige architectural qui marquaient les gares du XIXème siècle ou celles du début du XXIème signées Calatrava (pour celles qui sont terminées), ce nouveau concept s’articule autour de 3 mots clés « accessibilité, intermodalité et durabilité »[14] selon la SNCB. L’accessibilité a été largement renforcée avec le développement de pentes douces accessibles aux PMR et d’ascenseurs pour atteindre les quais depuis le couloir central. La hauteur des quais à 76cm permet également un embarquement à tous les usagers. Au niveau de la structure du bâtiment, l’idée est de passer d’une gare « figée » à une gare modulable et adaptable à la demande de la clientèle. Enfin la durabilité s’exprime par les matériaux utilisés.

L’avenir éclairera les analystes du futur quant à la popularité auprès du public du nouveau concept de gare mises au point par la SNCB. La gare de Waterloo reste indubitablement un point d’importance pour la vie locale et une solution en ce qui concerne un tourisme respectueux de l’environnement.

 

Quentin DEBBAUDT,
Conservateur du Musée Wellington et guide-conférencier à Train World

 

Sceau « Chemin de fer de l'Etat Waterloo », collection Train World Heritage

[1] Le terme French Wars désigne le conflit qui oppose la Grande-Bretagne et la France entre 1793 et 1815.
[2] La bataille de Salamanque est connue dans le monde francophone comme la bataille des Arapiles. Cette bataille livrée le 22 juillet 1812 fut remportée par Wellington et ses troupes anglo-hispano-portugaises sur l’armée française commandée par le Maréchal Marmont.
[3] Sur le sujet : Michel C, « Marc Seguin, un pionnier du chemin de fer et de la vapeur au début du XIXème siècle », Cahier de Mémoire d’Ardèche et Temps Présent, 132,‎ novembre 2016.
[4] A cette époque la Belgique compte 39 compagnies différentes. 1870 marque aussi le début du long processus de rachat de toutes les compagnies par l’Etat.
[5] Pinchart (de) H.,  Lados Van der Mersch Y, « Court historique de la ligne de chemin de fer Bruxelles-Calevoet-Luttre. Alentours de Calevoet. Le quartier de Calevoet. Tarifs ferroviaires’ in Ucclensia 48, Uccle, Cercle d’histoire d’archéologie et de folklore d’Uccle et des environs, 1973, P.17.
[6] Walravens C, « Ligne 124 : Bruxelles-sud – Nivelles – Luttre – Charleroi-sud, Bruxelles », Train World, 2023. Disponible sur : https://www.trainworld.be/src/Frontend/Files/userfiles/files/Fiches%20informatives_Historiques/Lignes/Ligne%20124_FR_V1.pdf (consulté le 28 juillet 2024).
[7] Désigne une ligne à écartement réduit, celui d’un tramway.
[8] Anciennement nom donné à la gare de Bruxelles-Luxembourg.
[9] Sur le sujet : Debbaudt Q, Visite virtuelle de l’AM 35, Bruxelles, Train World, 2020. Disponible sur https://www.trainworld.be/fr/le-musee/visite-virtuelle-de-l-am-35 (consulté le 28 juillet 2024).
[10] Ancien nom de la société Alstom qui a pris cette dénomination en 1998. La société est toujours très active dans le monde de la construction ferroviaire.
[11] Sur le sujet : Van der Herten B, Le temps du train – 175 ans de chemins de fer en Belgique – 75ème anniversaire de la SNCB, Louvain, Presses Universitaires de Louvain, 2001.
[12] Ancienne filiale de la SNCB chargée des gares, absorbée par la SNCB fin 2022.
[13] TUC RAIL est un bureau belge d’ingénierie spécialisé dans la technologie et l’infrastructure ferroviaires.[14] Bayer V, « Un concept de gares en phase avec les attentes des voyageurs » disponible sur https://press.sncb.be/un-concept-de-gares-en-phase-avec-levolution-des-attentes-des-voyageurs (consulté le 1er août 2024).