A l’occasion de la double exposition temporaire sur la Grande Guerre présentée au musée Wellington entre le 6 novembre 2020 et le 18 avril 2021, le musée a bénéficié d’un prêt de deux dolmans issus de l’ex-collection de Joseph William Meredith, collectionneur waterlootois.
La volonté du musée Wellington est de présenter des pièces en lien avec la thématique de l’exposition, de l’histoire militaire belge, l’histoire de la société occidentale et de faire des rapprochements stylistiques avec l’influence de l’uniformologie napoléonienne.
A cette fin, nous nous intéresserons plus particulièrement à la présentation du dolman des guides de l’armée belge.
Un dolman est une veste ajustée à la taille avec des manches étroites et pendantes. Le dolman est agrémenté de nombreuses couleurs et de brandebourgs qui en font des éléments facilement reconnaissables.
Le premier dolman sur lequel ne portera pas notre rubrique est un dolman de petite tenue d’officier du 3ème régiment de lanciers. Les nœuds hongrois qui devraient être disposés sur les manches pour indiquer les grades sont absents et laissent supposer une modification ultérieure.
L’autre dolman présenté au musée dans le cadre de l’exposition temporaire est un dolman de troupe modifié en un dolman d’officier des guides belges pour le théâtre. La base en reste néanmoins fort probablement authentique et fut réalisée suivant les prescriptions de l’Arrêté Royal du 10 février 1863 qui en réglemente l’aspect.
Les guides étaient l’élite des troupes montées de l’armée belge. Leurs fonctions étaient l’escorte de l’état-major, la reconnaissance sur les routes, la formation de petits postes de cavalerie pour contrôler certains points. Ils formaient également une force d’appoint en troupes montées. Le premier régiment avait aussi l’honneur de la fonction d’escorte royale.
Les guides furent formés le 4 février 1831 quand le gouvernement provisoire créa une compagnie des guides de la Meuse, transformée en escadron le 28 août 1831 qui prit part à la campagne des 10 jours. Cette campagne fut une véritable guerre d’indépendance pour le jeune royaume de Belgique sauvé in extremis par l’intervention française. Par la suite, le régiment fut mobilisé dans l’armée d’observation lors de la guerre franco-prussienne de 1870 et ramassa des centaines de soldats français débandés de cette armée qui impressionnait tant en Belgique. Durant ce conflit, le régiment eut l’honneur d’escorter l’Empereur Napoléon III prisonnier entre Bouillon et Libramont sous la conduite du général Chazal en septembre 1870.
En 1914, le régiment est mobilisé afin de défendre la Belgique envahie par l’Allemagne, mais la tenue trop voyante des guides en fait des cibles faciles pour les tireurs allemands. Cependant les guides s’illustrent au côté des lanciers et des carabiniers cyclistes en infligeant une sévère défaite aux cavaliers allemands à la bataille de Haelen, le 12 août 1914 en combattant… à pieds !
Afin de répondre aux importantes évolutions techniques engendrées par la Première Guerre Mondiale, l’uniforme évoluera à partir de 1915 grâce aux efforts du Général-Baron Empain par l’adoption de la tenue kaki et du casque d’acier.
Le dolman présenté est réalisé en drap de fond vert, sa couleur distinctive est l’amarante. Il est galonné de tresses plates, de galons gaufrés et de ganse carrée en métal d’or mais il s’agit ici de métal peint en jaune. Les nez de lance sur chaque manche présentent une faiblesse anormale au niveau de la qualité. Les boutons sont en demi-lune et peints afin de ressembler à de l’or. Les manches sont d’un seul morceau. Le dos est terminé par deux sabots en drap du fond galonné. Une aiguillette en cordon milanais peinte en jaune or terminée par deux ferrets simples. L’épaulette est à trèfle, réalisée en ganse carrée de métal peint de couleur or. La qualité du tissu est médiocre et ne reflète pas ce que l’on pourrait attendre d’un authentique dolman d’officier.
Pour le reste de l’uniforme que nous n’exposons pas, le ceinturon est en veau noirci, la boucle est à tête de serpent, les anneaux porte bélière et le crochet de sabre sont recouverts de basane noircie. Il est réglable sur le côté par une boucle à un ardillon. Les bottillons sont réalisés en veau noirci avec un talon coupé droit qui reçoit un éperon à col de cygne.
Les modestes moyens utilisés pour faire ressortir une apparence d’officier est typique des uniformes transformés pour le théâtre. Encore de nos jours, l’armée se sépare de vieux effets qui sont rachetés par des costumiers et des fripiers. Ainsi Louis-Napoléon Bonaparte (futur Napoléon III) parvint-il à travestir une cinquantaine de conjurés en soldats de la garnison de Boulogne-sur-Mer lors de son coup d’état manqué du 6 août 1840 en achetant des uniformes d’occasions.
La réutilisation d’uniformes pour le théâtre est un fait courant au XIXème siècle et au XXème siècle quand s’impose progressivement le service militaire. Le théâtre adaptant de plus en plus de pièces se déroulant dans le monde contemporain, les costumes portés doivent refléter la société. Avec l’adoption du service militaire dans les différents états d’Europe, « le port de l’uniforme devient une expérience sociale communément partagée, au moins parmi les hommes » note Odile Roynette, professeur à La Sorbonne.
L’uniforme des guides se composait d’éléments rappelant le Premier Empire et s’inspirant très fortement de l’armée française. En effet, l’armée de Napoléon III était perçue comme une référence (sauf en matière d’artillerie) par les décideurs belges. Le général Chazal déclarait ainsi en 1863 à propos de l’armée française « A aucune époque la France n’a eu une armée comparable à celle dont elle dispose aujourd’hui« . Jusqu’en 1870, un phénomène de mimétisme concrétise l’uniforme belge, Pierre Lierneux du Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire de Bruxelles, le décrit comme un « véritable engouement pour le matériel qui y était conçu : les grandes réformes de l’uniforme belge entre 1850 et 1855 en seront l’exemple le plus significatif« .
Ainsi le colback en ourson rappelle celui des chasseurs à cheval français. Le pantalon en drap de laine amarante galonné et passepoilé sur chacune des jambes de drap de laine vert chasseur est nommé « Lasalle » en référence à l’illustre général de Napoléon Ier. Au XIXème siècle, la gloire de la Grande Armée exerce une influence importante sur la pensée des responsables militaires jusqu’aux sinistres déconvenues de l’armée française lors des premières batailles d’août 1914. L’évolution technique ne parvient pas à faire changer la conception des uniformes malgré l’apparition d’armes meurtrière comme la mitrailleuse inventée en Belgique en 1863, année pendant laquelle le dolman des guides fut adopté.
Il est donc très intéressant pour le musée Wellington d’exposer ces deux dolmans et plus particulièrement celui des guides belges. Celui-ci est l’émanation même de la pensée militaire du XIXème siècle qui est restée sur des principes de l’époque napoléonienne oubliant totalement que l’efficience ne peut s’acquérir qu’avec l’adaptation aux évolutions. En outre, l’uniformologie se révèle ici comme une science permettant d’enquêter sur de plus vastes sujets que l’histoire militaire en touchant aux histoires sociales et culturelles « cette spécialité, apanage des collectionneurs, que le chercheur en sciences sociales tend encore à considérer avec condescendance, alors qu’elle constitue une base indispensable à toute réflexion plus large » comme l’écrit Roynette.
Major Philippe BÉLIE, Conservateur du musée Wellington.
Quentin DEBBAUDT, Responsable des collections du musée Wellington.
Bibliographie :
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- Roynette O, « L’uniforme militaire au XIXe siècle : une fabrique du masculin » in Clio. Femmes, Genre, Histoire [En ligne], 36 | 2012, mis en ligne le 31 décembre 2014, consulté le 17 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/clio/10887 ; DOI : https://doi.org/10.4000/clio.10887
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