La fusée à la congrève

Notre exposition permanente comporte une invention révélatrice de l’engouement pour l’innovation qui caractérise la Grande-Bretagne du XIXème siècle. Cette tendance à l’invention va permettre au royaume insulaire de devenir la première puissance économique mondiale.

Si la locomotive de Richard Trevithick ou la machine à vapeur de James Watt sont souvent citées comme emblème de ces innovations, d’autres inventions comme celle Lord Congreve méritent aussi d’être mentionnées dans ce grand mouvement de l’esprit scientifique.

Historiquement, les premières fusées sont une invention chinoise dont la première mention remonte à 1232 avant Jésus-Christ. Par la suite, elles arrivent en Europe via l’Italie mais disparaissent assez vite des usages militaires au point d’être totalement oubliée au XVIIIème siècle.

En Inde, l’usage militaire de la fusée ne disparait pas. Elles furent utilisées par Tipû Sâhib (1750-1799) sultan de Mysore lors des combats qui l’opposèrent aux britanniques d’Arthur Wellesley qui sortit vainqueur de cette confrontation en 1799. Wellesley mit la main sur un important stock de fusées indiennes à Seringapatam, capitale du Mysore, dont il envoya une partie en Grande-Bretagne.

Fusée de congrève exposée dans la collection permanente du musée Wellington

Les fusées que Wellesley découvre sont plus avancées que ce que les occidentaux connaissent car les artilleurs du Mysore utilisaient un tube en fer pour contenir le propulseur. Cela a permis d’élever la pression d’éclatement dans la chambre de combustion et donc d’obtenir une force de poussée plus élevée et une portée plus longue. Ces fusées pouvaient se révéler efficaces quand la surprise jouait, Wellesley en fit lui-même l’expérience lors de l’accrochage de Sultanpet. Ce 6 avril 1799, le 33rd regiment qu’il commandait fut attaqué de nuit et dispersé perdant plusieurs tués et laissant 12 prisonniers aux mains des Indiens. Le biographe de Wellington, Guedalla écrit en 1940 que Wellesley aurait pu être victime d’un stress « shell-shocked » ce qui expliquerait son indulgence envers les traumatismes post-combat de ces soldats alors que ce genre de pathologie n’était pas reconnue.

Arrivées en Grande-Bretagne, les fusées attirèrent l’attention de lord Congreve, fils aîné du général Congreve, qui finance les premières recherches à Londres avec son argent personnel. A partir de 1801, Congreve développe un véritable programme de recherche afin d’améliorer l’efficacité des fusées au Royal Woolwich Arsenal. Sir William Congreve a fait des études systématiques sur les ergols, analyse les performances en appliquant les lois de Newton (inconnues en Inde) puis développe une série de fusées de tailles et de caractéristiques différentes. Enfin, il réalise une analyse comparative des coûts pour produire une arme efficace et bon marché. Ces recherches lui permettent de publier trois livres sur le sujet.

Congreve développe finalement un moteur-fusée avec un boîtier en fer robuste de 10 cm de diamètre avec un nez conique qui pèse environ 14,5 kg, attaché à une perche en bois de 4,6 m de long et de 3,8 cm de diamètre.  Une rocket coûte environ £ 1.

Woolwich va se mettre à produire des fusées et en août 1806, 13.109 fusées auront été assemblées ! La première expérience fut navale puisque la Grande-Bretagne n’avait pas encore d’armée déployée sur le continent. Le 18 novembre 1805, dix vaisseaux britanniques équipés de fusées se présentent devant Boulogne-sur-Mer en présence de Congreve. L’attaque est un échec que les Britanniques font imputer au mauvais temps. Le second essai qui se déroule le 8 octobre 1806, s’est avérée être plus concluant avec un tir de 2 000 roquettes en 30 minutes qui ne laissent pas le temps aux batteries côtières de riposter.

Dès lors l’utilisation de Rockets devient indissociable des expéditions britanniques, en 1807, 25.000 rockets sont tirées sur Copenhague.

Lors de la campagne de 1815, les rockets furent à nouveau déployées en une batterie commandée par le capitaine Whinyates qui tire 52 fusées pendant la bataille. Le déplacement est hippomobile, chaque artilleur est un cavalier qui porte deux fusées de 6 livres dans chaque fonte ainsi que deux piquets de 2 m 25 qui servent de rampe de lancement aux fusées. La troop du Rocket Corps est composée de 13 sections de 2 lance-fusées qui sont accompagnées chacune par 4 chevaux de bât qui porte chaqu’un 18 fusées et l’outillage. Il semble que la voiture de ravitaillement n’était pas présente à Waterloo selon les carnets de la campagne des éditions de la Belle-Alliance.         

Les rockets jouèrent un rôle lors des échanges de tirs qui suivent la prise de Genappe par les Français, le 17 juin. 

Utilisation navale des Rockets Congreve détaillée par Congreve dans The Details of the Rocket System en 1814.

L'ordre de faire feu est donné, le porte-feu est appliqué et le projectile instable commence à cracher des étincelles, à tortiller sa queue et tout d’un coup part droit en montant la chaussée. Un canon (français) est sur la route, entre les deux roues duquel l’obus fixé à la tête de la fusée éclate

Les artilleurs français sont tués et les autres prennent la fuite. Seulement l’arme est imprécise toujours selon Mercer :

Nos fusées continuaient à envoyer leurs projectiles, dont aucun ne suivit la marche du premier » voir dangereuse « Un de ceux-ci me poursuivit comme un feu follet jusqu’à ce qu’il fit explosion, me mettant en plus grand danger que le feu de l’ennemi pendant tout le jour ». En face, le colonel Gourgaud, ordonnance de Napoléon rend compte de l’inefficacité de l’arme « je prends deux pièces et, au bout de quelques coups, les Congrèves s’en vont, n’ayant pu nous rien faire ; une seule fusée tomba près de nos pièces et ne fit rien »

Les fusées jouèrent donc un rôle totalement anecdotique lors de la campagne de Belgique de 1815. La fin des guerres napoléoniennes ne sonne pas l’arrêt des travaux de Congreve qui cherche à améliorer son arme afin de créer des fusées qui tireront hors de portée de l’artillerie. Il écrit ainsi au duc de Wellington le 9 août 1822 

C'est que la pénétration de la fusée dépasse de loin celle de tout autre projectile du même poids. Ainsi, une roquette de 12 livres pénétrera au-dessus de 20 pieds dans un obstacle solide après avoir parcouru 1200 mètres alors qu'un terrain de 12 pieds de large est considéré comme une protection suffisante contre les coups de 12 livres, ou, en fait, contre toute autre artillerie de campagne

Dessin de Congreve représentant l’utilisation terrestre des rockets

Les fusées jouèrent donc un rôle totalement anecdotique lors de la campagne de Belgique de 1815.

 La fin des guerres napoléoniennes ne sonne pas l’arrêt des travaux de Congreve qui cherche à améliorer son arme afin de créer des fusées qui tireront hors de portée de l’artillerie. Il écrit ainsi au duc de Wellington le 9 août 1822 « C’est que la pénétration de la fusée dépasse de loin celle de tout autre projectile du même poids. Ainsi, une roquette de 12 livres pénétrera au-dessus de 20 pieds dans un obstacle solide après avoir parcouru 1200 mètres alors qu’un terrain de 12 pieds de large est considéré comme une protection suffisante contre les coups de 12 livres, ou, en fait, contre toute autre artillerie de campagne. »

La possibilité de diffusion de la technologie Congreve fait l’objet d’une âpre surveillance des autorités britanniques. Ainsi, le sieur Turner est surveillé par Sir Bagot, ambassadeur à Saint-Pétersbourg pour avoir proposé aux russes de mettre au point des fusées Congreve en mars 1823 pour la somme de 100.000 roubles.

En privé, Wellington reste sceptique sur les capacités de l’invention de Lord Congreve. Ce dernier le lui rendait bien doutant des talents de stratège du futur vainqueur de Waterloo comme il le dit à Thomas Creevey lors d’une soirée chez le régent le 31 octobre 1811 !

Les travaux de Congreve ont eu un impact énorme sur la société civile britannique. George Stephenson a appelé sa locomotive la « Rocket », après qu’un critique eut dit avec mépris que l’idée de voyager deux fois plus vite qu’une calèche était « idiot et ridicule, que les habitants de Woolwich consentiront à monter sur une Congreve plutôt que de confier leur vie à une telle machine »

Par une ironie de l’histoire si les Britanniques s’inquiètent de la diffusion des rockets en Russie, ce seront des roquettes russes qui sur le front de l’Est remettront l’arme au premier plan en 1941. Le général Eremenko décrit dans son journal, le premier tir à Roudnia

Les fusées partirent en l’air avec un effroyable sifflement. Comme des comètes, elles trainaient derrières elles une queue rouge. Elles explosèrent dans un fracas de tonnerre. L’effet de l’explosion de trois cent vingt fusées en vingt-six secondes sur un espace limité dépassa tout ce qu’on en attendait. Frappés de panique, les Allemands prirent la fuite. Nos soldats firent de même : afin de protéger le secret jusqu’au dernier moment, nous ne les avions pas mis au courant de la mise en œuvre de cette nouvelle arme

Quentin Debbaudt, Responsable des collections.

Bibliographie

  • Carell Paul, Opération Barbarossa, tome 1, l’invasion de la Russie, Paris, J’ai lu, 1968.
  • Gourgaud (Général-baron), La campagne de 1815, ou relation des opérations militaires qui ont eu lieu en France et en Belgique pendant les Cent Jours, Londres, 1818.
  • Herbert M, The Creevey papers, volume 1, Cambridge, Cambridge university press, 2012.
  • Mercer, Journal of the Waterloo Campaign, kept througout the campaign of 181(, London, Wentworth Press, 2019.
  • Muir R, Wellington : Waterloo and the Fortunes of Peace 1814–1852, Yale, Yale University Press, 2015.
  • Narasimha R, Rockets in Mysore and Britain, 1750-1850 A.D, Bangalore, National Aeronautical laboratory and Indian institute of science, 1985.
  • Tondeur J-P, Courcelle P, Meganck P et Pattyn J-J, Les carnets de la campagne numéro 11 « Genappe », Bruxelles, Editions de la Belle Alliance, 2007.
  • Werrett S, William Congreve’s rational rockets, London, The royal society publishing, 2009 (disponible sur http://doi.org/10.1098/rsnr.2008.0039, consulté le 18 novembre 2021).
  • Wellesley A, (Field marshal et duc de Wellington), Dispatches, Correspondence and Memoranda of Field Marshal Arthur …, Volume 1, John Murray, London,  1867.
  • Wellesley A, (Field marshal et duc de Wellington), Dispatches, Correspondence and Memoranda of Field Marshal Arthur …, Volume 2, John Murray, London,  1867.