La tenue théâtrale de vivandière, un outil de médiation culturelle

Les femmes sont peu évoquées dans l’histoire des guerres napoléoniennes qui privilégie un prisme masculin. Pourtant certaines femmes vont se retrouver sur le champ de bataille et n’hésiteront pas à faire le coup de feu quand la nécessité s’en présentera.

Afin d’illustrer le rôle des femmes dans nos animations et expositions temporaires, le musée a acquis la reconstitution d’une tenue de cantinière en vente publique chez « Jakobowicz & Associés » à la suite de la liquidation du musée privé « Briard » fondé par l’historien René-Charles Plancke (1936-2019).

La tenue est composée d’un chemisier orné de dentelle, d’un gilet arborant des boutons de l’Armée républicaine, d’un jupon aux couleurs françaises et d’un veston bleu à collet rouge avec des boutons républicains. Elle est conservée sous le numéro d’inventaire 20/032/a.

Cette tenue évoque l’aspect d’une vivandière des armées républicaines comme l’attestent les boutons marqués « RF ».

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Historique et interprétation de la tenue

Notre tenue fut utilisée pour le théâtre comme l’atteste l’étiquette de la veste provenant du costumier parisien « Mathieu et Solatgès ». Elle fut portée par Jane Aubert (1900-1988) pour une pièce nommée Lafayette sur laquelle nous ne disposons pas d’informations. Elle est ensuite acquise par René Charles Plancke à une date inconnue pour son musée Briard puis vendue à sa mort et achetée par le musée Wellington en 2019.

Culturellement, la confection de cette tenue pour le théâtre s’explique par le fait qu’à la fin du XIXème siècle le rôle de la femme aux armées s’est considérablement réduit. À la veille de la Première Guerre mondiale, la « cantinière » ou « vivandière » a presque totalement disparu du paysage militaire français. L’évolution est néanmoins inverse en ce qui concerne les chansons, vaudevilles, romans et gravures. Ces médias élaborent une image troublante pour le grand public car l’armée devenait l’incarnation de la masculinité, être réformé devenait une honte. Gil Mihaely contextualise l’image de la cantinière comme une « enclave d’ambiguïté et de transgression sexuelle » ce qui permet une certaine libération de la parole féminine via la cantinière représentée tant maternelle que paternelle, étant capable d’actes héroïques qui font l’admiration des hommes.

Entreposée dans la réserve, la tenue a une fonction de médium pour les expositions temporaires et pour la médiation culturelle jeune public.

Emilie Robbe et Hélène Boudou Reuzé distinguent d’ailleurs trois types de vivandières qui s’imposent dans la culture « la vivandière, qui malgré ses conditions de vie atypiques, reste dans son rôle « naturel » de mère et d’épouse, celle qui, à l’inverse, a acquis des mœurs légères à cause de sa proximité avec les soldats et enfin, la cantinière du Second Empire, qui, devenue beaucoup plus présentable, est mise en avant en tant que mascotte officieuse du régiment. »

Cette variété de vivandières associées au côté théâtrale que prend ce personnage de l’histoire de France a permis aux couturiers de laisser leur imagination s’exprimer.  Ils s’émancipent ainsi d’une mimésis historiciste pour une approche plus artistique.

Une acquisition récente du musée Wellington

Le musée Wellington s’est porté acquéreur de cette tenue lors d’une vente aux enchères en 2019. Deux raisons ont poussé l’équipe du musée à soutenir cet achat.

Premièrement, les armées de la République ont remporté une victoire à Waterloo, les 6 et 7 juillet 1794, connue sous le nom de bataille de Mont-Saint-Jean. Ce combat s’inscrit dans la suite de la bataille de Fleurus remportée le 26 juin 1794 par le général Jourdan contre les coalisés du Saint-Empire et des Provinces-Unies commandés par le Prince de Saxe-Cobourg. Les forces françaises marchent alors sur Bruxelles dont le Prince de Saxe-Cobourg essaie de barrer la route à Waterloo, 21 ans avant Wellington ! C’est de cette époque que datent les meurtrières d’Hougoumont.  Le combat tourne à l’avantage des Français qui s’installent dans le quartier-général qu’occupait le Prince de Saxe-Cobourg, l’actuel musée Wellington.

Cette tenue est donc tout à fait appropriée dans un musée waterlootois pour évoquer le rôle des femmes dans une armée de la période allant de 1789 à 1815. Nos guides-animatrices peuvent aussi s’en servir lors guidages animés.

Secondement, le rôle symbolique de la cantinière dans le théâtre français des XIXème et XXème siècle nous permet de transcender l’histoire militaire pour évoquer l’histoire socio-culturelle issue des évènements des guerres de la Révolution et de l’Empire.

De la cantinière à l’épouse, les femmes aux armées.

Les cantinières sont nommées vivandières à l’époque napoléonienne et peuvent être perçues comme des commerçantes ambulantes qui suivent l’armée française. Le 30 avril 1793, un règlement crée officiellement le statut de vivandières-blanchisseuses patentées. Ces dernières doivent pouvoir présenter à tout moment leur patente aux contrôles effectués par la gendarmerie. L’arrêté du 7 thermidor an VIII  (26 juillet 1800) autorise les corps à avoir à leur suite des vivandières et blanchisseuses. Leur nombre est de maximum 4 par bataillon, 2 par escadrons et par quartier-général d’armée ou quartier-général de division. Elles n’ont droit à aucune solde ni distribution mais les inspecteurs aux revues doivent avoir un état désignatif de leur âge, profession et signalement. Les inspecteurs leur délivrent un extrait certifié de cet état pour leur servir de carte de sûreté.

Sous l’Empire, le statut de ceux qui suivent l’armée se militarise à l’image des convoyeurs. Le statut de la vivandière est redéfini par Napoléon en 1809. Si elles ne perçoivent pas de solde, elles sont militarisées au même titre que les hommes et doivent répondre aux appels des officiers. Les vivandières blessées peuvent être admises dans les hôpitaux militaires. Ainsi, quelques femmes pourront prétendre à la part de gloire que Napoléon promettait à tous ses soldats.

À Waterloo, nous retenons « Marie tête de bois ». Née à Paris, Marie entre dans l’armée assez tôt pour suivre un jeune tambour, mais elle finit par tomber amoureuse d’un grenadier. Elle lui donne un fils avant qu’ils ne se marient en 1805. Son fils suit la tradition familiale et passe sa vie dans l’armée. C’est aux côtés de son mari et de son fils que Marie participe à 17 campagnes. Ils meurent tous deux en 1814 en défendant Paris. Marie elle-même est grièvement blessée par une balle en allant chercher le cadavre de son fils.

Notre tenue a évoqué le destin de Marie tête de bois lors de l’exposition « La Belgique napoléonienne » lors de l’édition 2021 du week-end impérial de Rambouillet.

Guérie en 1815, elle reprend du service pour la campagne de Belgique et rejoint la Garde. Dans la soirée du 18 juin, Marie est mortellement blessée par un biscaïen pendant la bataille de Waterloo. La légende raconte qu’en tombant, Marie s’écrie : « Vive la France ! ». Toujours selon la légende, alors qu’elle est à terre, une balle perdue lui frappe le visage et la défigure. Cela ne l’empêche pas de crier : « Vive l’Empereur ! ». C’est alors qu’un grenadier gisant à ses côtés lui aurait alors dit « Marie, vous n’êtes pas belle, comme ça… », ce à quoi elle aurait répondu, en souriant : « C’est possible, mais j’ai l’honneur de pouvoir me vanter d’être fille, femme, mère et veuve de troupier. » Et elle s’en alla sur ces mots à l’âge de 50 ans.  

Du côté britannique des femmes se retrouvent aussi à la guerre au point de transformer le débarquement des troupes anglaises à Ostende en 1815 en une opération chaotique se souvient le capitaine Cavalié Mercer : « des groupes de femmes et d’enfants à l’air désolé… vus ici et là assis sur leurs pauvres sacs, ou errant à la recherche de leur mari, ou peut-être d’un enfant errant, tous criant, se lamentant et augmentant matériellement la confusion à la Babel ». Les soldats ne gagnaient pas une solde suffisante pour assurer la subsistance de leur famille, c’est pourquoi ces dernières suivaient l’armée. Ces populations sont nommées par l’historiographie anglo-saxonne les camp followers.

 

Depuis 2020, cette tenue aux fonctions polyvalentes fait partie de la collection du musée Wellington. Si elle ne représente pas fidèlement une tenue de vivandière (et qu’est-ce qu’une tenue fidèle ?) elle présente l’avantage de servir en animation par la richesse de ses couleurs, de mettre en avant le rôle des femmes dans l’armée française et de nous interroger sur la place laissée aux femmes dans l’historiographie.

Quentin DEBBAUDT

Responsable des collections du Musée Wellington

Bibliographie

  • Cecille L, Charlet P, Pattyn J-J, Mont-Saint-Jean, 6-7 juillet 1794, coll. « Les batailles oubliées », Plougastel, Historic’one editions, 2017.
  • Crowdy Terry et Hook Christa (illustration), Napoleon’s Women Camp Followers, Oxford , Osprey Publishing, 2021.
  • Mercer C (capitaine), Journal de la campagne de Waterloo (trad. Valère M), Paris, Plon, 1933. 
  • Mihaely G, « Farewell to the Vivandière: Virilizing the French Army in the 19th Century » in Revue d’histoire du XIXe siècle, vol. 30, no. 1, 2005, pp. 3-3.
  • Pigeard A, L’armée napoléonienne, Grenaoble, Editions Curandera, 1993
  • Quillet P.N, Etat actuel de la législation sur l’administration des troupes, Paris, Magimel 1811, Tome 1
  • Robbe E, Boudou Reuzé H, « La viandière et la cantinière dans les collections du musée de l’Armée » in Le blog des collections, Paris, 2019 disponible sur https://collections.musee-armee.fr/la-vivandiere-et-la-cantiniere-dans-les-collections-du-musee-de-larmee/ (consulté le 17 mars 2022).