Une statuette d’Imhotep divinisé 

L’exposition « des Pharaons au Général » au musée Wellington présente une intéressante collection de bronzes votifs égyptiens issus de différents musées, le museum and de stoorm, le musée royal de Mariemont, le Stedelijk museum de Lokeren et les Musées Royaux d’Art et d’Histoire. 

Ce dernier musée possède dans sa collection, une intéressante statuette qui permet de concevoir l’ascension au rang de divinité d’un humain et l’importance du bronze, matériau oublié de l’Égypte ancienne. 

 Cette statuette représente la divinité Imhotep exposée dans une vitrine de la salle consacrée à la Basse-époque (entre -664 et -332) au MRAH[1] ou elle est enregistrée sous le numéro d’inventaire E.07570. 

 

Cette statuette en bronze mesure 12,9 cm de haut, 3,7 cm de large et 7,4 cm de profondeur. 

Sa provenance est inconnue du fait de son mode d’acquisition. Cette représentation provient en premier lieu de la collection du Cardinal Lambruschini qui fut l’un des créateurs de la collection du Museo Grégoriano au Vatican et particulièrement de sa collection égyptienne. Le Cardinal Lambruschini acquit la statuette via un réseau de vente d’antiquités ce qui rend son contexte de découverte inconnu. 

Elle intégra ensuite la collection d’Emile de Meester de Ravenstein, ministre de Belgique auprès du Saint-Siège à Rome de 1846 à 1859 qui achète à cette époque une importante collection d’antiquités.  

Une grande partie de la collection de Meester de Ravenstein intègre ensuite la collection permanente des Musées Royaux d’art et d’histoire en 1880 avec notamment quelques 150 pièces égyptiennes[2] . 

Le Dieu Imhotep est ici assis, pieds joints. Il porte sur la tête une calotte à l’instar du Dieu Ptah dont la mythologie veut qu’il soit le fils[3]  et tient sur ses genoux un papyrus déroulé. 

 

Imhotep porte un pagne que Roeder a qualifié de  » Thronend im Wadenschurz » (Trônant en cuissardes) sur base de sa typologie des habillements des statuettes de bronze d’Imhotep.[4] Ici, le modèle en cire ayant servis à la création de la statuette se trouvait vraisemblablement dans la partie avant du pagne. 

Nous ne pouvons pas lire ce qu’il est écrit sur la tablette et seul l’iconographie de cette statuette nous permet d’identifier ce personnage à Imhotep mais notons qu’il était vraisemblablement inscrit en comparant avec 3 autres statuettes d’Imhotep :  » Imhotep, fils de ptah » (leiden E XVIII), “Imhotep le grand fils de Ptah Ank-kherep » (Boston 27.984) ou plus simplement « paroles dites par Imhotep »(Mariemont B.490).[5]  

La variété des statuettes en bronze d’Imhotep et une étude récente réalisée par Schorsh prouve que chaque réalisation est un œuvre unique et qu’il faut alors exclure l’idée avancée par Roeder de la répétition d’éléments via l’utilisation de moules identiques[6] . 

Karomâmâ du Louvres (Louvres E.11201)

Un témoin de l’art des bronziers dans l’Egypte antique. 

 Le cuivre est connu des Egyptiens depuis la préhistoire venant du Sinaï ou des déserts orientaux puis sera importé de Syrie et de Chypre.[7] 

Le traitement du minerai devait certainement se faire à proximité du lieu d’extraction comme le suggère l’installation avec moules, tuyères et creuset retrouvée à Serabit El Khadim en Egypte. L’importation de cuivre en Egypte se faisait sous forme de lingots de cuivre.[8]  

Le travail du bronze apparaît quant à lui vers 1900 Av J.C pendant le Moyen-Empire, technique venant du Moyen-Orient. Son utilisation va surtout se développer dans la région du Delta du Nil.[9]  Cependant nous constatons que pendant les périodes d’unités politiques du Moyen-Empire puis du Nouvel-Empire nous aurons peu de différences techniques entre les régions.[10]  

L’art des bronziers atteindra son apogée pendant la troisième période intermédiaire (-1069/-664 Av J-C.) avec notamment la Karomâmâ du Louvres (Louvres E.11201).

Tombe de Nebamon (TT100)

La Basse-Epoque voit de nombreuses productions de bronzes, notamment des représentations des membres du panthéon égyptien comme les statues d’Imhotep très répandues à cette époque.

Les outils des bronziers étaient assez rudimentaires comme le montre les décors des tombes de Rekhmiré (TT39) et Nebamon (TT100) .

Les Égyptiens utilisaient le forgeage et le martelage avec une pierre dure en plaçant le métal sur une pierre plate ayant fonction d’enclume. Ensuite le métal est fondu et transporté jusqu’au moule de faïence ou de stéatite à l’aide d’un creuset portatif. Pour attiser le feu, les bronziers utilisaient un soufflet à pied fait de peaux tendues entre les tambours de poterie.

Il est aussi attesté de l’utilisation de la cire perdue pour la réalisation de statuettes en bronze.[11]

Pour le durcissage, les bronziers utilisaient généralement de l’étain mais aussi de la sylphide qui laisse des traces d’arsenic, d’antimoine et de bismuth, trait typique des production de la Basse époque.[12]

L’utilisation du bronze dans un contexte religieux et particulièrement dans celui du culte d’Imhotep trouve tout son sens puisque le bronze est issu d’une transformation étant considérée comme presque magique par les Égyptiens.[13] Ce métal issu d’une transformation révélant du magique pouvait accueillir le divin. La magie étant également très présente dans la médecine égyptienne, il n’est donc pas étonnant de retrouver de multiples représentations d’Imhotep en bronze à des fins médicales.[14]

Le Culte d’Imhotep dans l’Egypte antique

Le culte d’Imhotep trouve ses origines au Nouvel Empire (entre -1500 et -1000). Imhotep était célébré comme dieu de la sagesse et des scribes mais son culte n’imprégna vraiment la société égyptienne qu’à partir de la XXVIème dynastie (entre -624 et -525) en raison de l’importance prise par les temples dans le pays et de la dévotion populaire qui s’y répandit.[15] Cela correspond aussi à l’augmentation des petits bronzes de dévotion à la fin de la XXVème dynastie des pharaons nubiens (entre-744 à -626).[16] Cette nouvelle sorte de dévotion avait besoin de dieux intercesseur et Imhotep joua ce rôle notamment auprès de son dieu patron qu’était Ptah.

Il fut considéré à la Basse époque comme inventeur de la médecine et comme fils de Ptah alors qu’historiquement Imhotep portait sur la stèle du pharaon Djeser (entre  -2691 et -2625) de la IIIème dynastie les titres de « chancelier de Basse-Egypte, Premier après le Roi, administrateur du palais, noble héréditaire, grand prêtre d’Héliopolis, architecte et sculpteur ».

Il ne portait donc pas de son vivant le titre de « sounou » (médecin) qui revenait à Hésyré comme inscrit sur son panneau funéraire[17].

Ce type de statuettes servit ainsi aux particuliers afin de pouvoir faire des offrandes aux temples ou son culte d’Imhotep était présent, il s’agissait essentiellement des temples de Thèbes, de Karnak à l’arrière de celui de Ptah, dans la nécropole de Saqqara au Sérapeum et à la nécropole des animaux sacrés[18] et enfin dans le temple d’Hatchepsout à Deir-el-Bahari aménagé en Sanatorium à l’époque tardive, sous l’Empire romain[19].

Ce culte eu une vie assez longue car Cléopâtre et Epiphane se sont rendus à Philae pour prier le Dieu afin d’avoir longue vie et santé au tournant du millénaire.[20]

[1] Abréviation signifiant : Musées Royaux d’Art et d’Histoire.
[2] B. Van de Waele , La collection égyptienne : les étapes marquantes de son développement, Bruxelles, Musées royaux d’art et d’histoire, 1980, p. 12 et 64.
[3] Sur le l’histoire  d’Imhotep voir : I.Franco, Imhotep dans Nouveau dictionnaire de mythologie égyptienne (dir. I. Franco), Paris Pygmalion, 1999, p.126.
[4] G. Roeder, Aegyptische bronzefiguren, Berlin, Staatlichte Museen, 1956, p. 12-14.
[5] Hill M, « La statuaire en métal cuivreux au regard des oeuvres de Mariemont » dans Antiquités égyptienne au musée royal de Mariemont (éd. C. Derriko et L. Delvaux), Morlanwelz, Musée royal de Mariemont, 2009, p. 174.
[6] D. Schorsh, “The manufacture of metal statuary : seeing the workshop of the temple”, Gifts for the gods.Images from egyptian temples, (ed. M.Hil et D. Schorsch), New-York, The metropolitan museum of art, 2008, p. 193.
[7] H. Stierlin,Tanis. l’or des pharaons, Fribourg, Office du livre, 1987,p. 200.
[8] P-T. Nicholson, I.Shaw, Ancient egyptian materials and technology, Cambridge, Cambridge Press University, 2000, p. 149.
[9] H. Stierlin, Tanis… , p. 204
[10] L. Garenne-Marot, « Le travail du cuivre dans l’Egypte pharaonique d’après les peintures et bas-reliefs », Paléorient, 11, 1985, p.109
[11]M-C Bruwier, “Artisans et artisanats”, Ombres d’Egypte, le peuple de pharaon,(dir. E. Warmenbol), Treignes, éditions du CEDARC, 1999,p 51.
[12] P-T. Nicholson, I.Shaw, Ancient egyptian…, p. 152.
[13] M. Hill, “La statuaire…, p. 123.
[14] B. Ziskind, “Les médecins de pharaon”, Egypte, 44, 2006, p. 50.
[15] M. Hill, “La statuaire…”, p. 126
[16] L. Manniche, L’art égyptien, Paris, Flammarion, 1994, p.267.
[17] B. Ziskind, “Les médecins…”, p. 50.
[18] M. Hill, “la statuaire…”, p. 175.
[19] I.Franco,” Imhotep…”, p. 126.
« [20] M, Alliot , « La thébaide en lutte contre les rois d’Alexandrie sous Philopator et Epiphane », Revue belge de philologie et d’histoire, 29, 1951, p.441.

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Quentin Debbaudt, Conservateur du musée Wellington